
Ces médias qui prennent du recul
Quand l’actualité d’hier fait étrangement écho à l’événement d’aujourd’hui. C’est ce que veulent montrer des médias comme Retronews, Rembobine ou La Disparition qui proposent d’analyser l’actualité par le prisme du passé à travers les archives, des reportages et des retours en arrière. Entre magazine, lettre papier ou plateforme en ligne, autant de moyens pour prendre du recul sur le monde qui nous entoure.
L’Institut national de l’audiovisuel (INA) a bien saisi l’appétence du public pour les archives vidéos, à l’image de son service Mediaclip, qui met à disposition des vidéos clés en main pour les créateurs de contenus. En 2020, l’INA lance sa plateforme payante de streaming Madelen qui donne accès à plus de 13 000 programmes. Parmi eux, des émissions emblématiques comme Apostrophe, et Cartes sur table, des films cultes ou encore des documentaires. Les réseaux sociaux sont aussi très utiles pour l’INA qui publie régulièrement des archives. Comme celle-ci, sur la vision des hommes sur les femmes dans les années 60. Une relation passé-présent qui donne à voir l’évolution des questions de société.
Concernant la vidéo, les archives sont bien là, mais quid de la presse écrite ? La Bibliothèque Nationale de France (BNF) sauve la mise.
Retronews, plongée dans les archives de presse
« L’histoire dialogue avec l’actualité et inversement », fait remarquer Sonia Devillers dans l’Instant M en octobre 2021 alors qu’elle recevait Laurence Engel, présidente de la BNF. « Retronews est une source inépuisable pour comprendre ce qu’il s’est passé et le mettre en relation avec ce qu’il se passe aujourd’hui », précise la présidente. Concrètement, Retronews est un site mais aussi un moteur de recherche qui recense plus de 1 500 titres de journaux publiés entre 1631 et 1950. Ce sont trois siècles de documents numérisés pour plonger dans les méandres de la presse française. À destination de celles et ceux qui recherchent des archives précises sur un thème anglé grâce au moteur de recherche mais aussi à ceux qui souhaitent être éclairés sur une actualité grâce à des articles du passé à travers la rubrique « écho de presse ».
Être ancré dans le présent, c’est aussi l’enjeu pour Retronews. Ainsi, la plateforme a lancé une revue papier en septembre 2021. « L’idée était de montrer que notre présent n’est pas si moderne que ça, parfois. Déjà, on parlait de suicide assisté il y a deux siècles. On parle de l’homosexualité, du genre, d’écologie.., soulignait Mahir Guven, directeur de la publication, en septembre dernier sur France Info.

La Disparition, entre monde d’avant et monde d’après
Retour au papier donc. Le support que certain·es disent en voie de disparition. La Disparition, c’est d’ailleurs le nom du projet lancé en 2021 par les journalistes Annabelle Perrin et François de Monès. Les fondateur·ices ont décidé de remettre la lettre au goût du jour. Celle que l’on envoyait à notre grand-mère ou, pour la référence, celles que Sam et Suzie s’écrivent dans Moonrise Kingdom, le film de Wes Anderson. Lors de l’élaboration du projet, Annabelle Perrin explique comment l’équipe est arrivée à ce constat : « Tout peut disparaître. L’époque est grave, nous vivons une crise démographique, sanitaire, économique et écologique, donc notre seul espoir c’est la lutte et la prise de conscience. La Disparition propose donc un travail journalistique de reportage sur les bouleversements que nous sommes en train de vivre ». Et la cofondatrice de préciser : « Nous ne sommes ni réacs ni nostalgiques, notre travail de journaliste est de constater et d’inventorier. Le bon sujet est celui où l’on va chercher la petite histoire pour l’inscrire dans un enjeu plus global ».
Pour décrire ces bouleversements, La Disparition a choisi un format inédit que l’on croyait ne jamais revoir. Un média épistolaire ou un courrier reportage, c’est selon.

La lettre zéro envoyée durant l’été 2021 est un reportage en immersion de Julien Brygo sur la disparition de millions d’emplois de chauffeurs routiers aux États-Unis à cause de l’expansion de plateformes comme Amazon et ainsi évoquer des problématiques plus globales. Il est alors parti à leur rencontre. « Si je suis ici c’est que l’heure est grave » écrit-il. Il emmène le lecteur à la rencontre de ces travailleurs. En voici un extrait :
« Il faut que tu saches que dans la majorité des cinquante États du pays, chauffeur de camion est le métier le plus commun, devant employé de services commerciaux, professeur et développeur informatique. Plus de 1,8 millions de camionneurs, dont 93 % d’hommes, opèrent sur de longues distances aux USA, transportant environ 70 % des biens de consommation — le reste est envoyé par le rail. »
« Avant qu’il ne disparaisse, je voulais te raconter ce qu’est le métier de camionneur aujourd’hui. Sa disparition annoncée signifie bien davantage que le drame de millions de personnes perdant leur travail. Cette disparition n’est qu’une partie émergée de l’iceberg d’un monde construction, téléguidé par des géants comme Amazon, Google ou Uber. Je te raconte cette histoire pour que tu saches et que tu puisses juger si cet avenir te convient. »

Il y a aussi celles et ceux qui préfèrent la boîte aux lettres moderne, les mails. La Disparition fait aussi en sorte que ce courrier numérique ne se perde pas au milieu des autres. Que, pour une fois, le lecteur prenne le temps de le lire. Exercice proposé dans une newsletter tous les quinze jours. Cette fois encore, il est question de disparition à travers une revue de presse éditorialisée. Chaque numéro est différent, c’est la surprise deux fois par mois.
[Ndlr : L’équipe de La Disparition est accompagnée depuis décembre 2021 par Médianes, le studio.]
Rembobine, rattraper l’actualité
Ainsi, les mails s’empilent et on perd le fil. Même procédé pour l’actualité, parfois on décroche. Dans sa newsletter Rembobine, Tim Vinchon, journaliste indépendant qui fait partie du collectif La Friche, s’adresse à tous.tes celles et ceux « qui ne suivent plus les nouvelles car elles vont trop vite. Quand je fais des ateliers d’éducation aux médias, j’observe que les actualités dont on parle maintenant, plus personne n’en parlera dans trois jours ». L’idée de la newsletter est donc de se poser et de réfléchir, « de trouver une nouvelle porte d’entrée pour ceux qui auraient décroché ou qui en sont dégoûtés ». Face au flot incessant d’informations, le journaliste a décidé de revenir sur les événements d’il y a trois mois. Il propose ainsi de prendre du recul pour mieux les comprendre.

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La newsletter de Médianes est dédiée au partage de notre veille, et à l’analyse des dernières tendances dans les médias. Elle est envoyée un jeudi sur deux à 7h00.