Krytyka Polityczna victime collatérale du gel de l'aide humanitaire américaine

Agnieszka Wiśniewska, rédactrice en chef du média indépendant polonais Krytyka Polityczna, raconte comment les coupes budgétaires ordonnées par Donald Trump ont fragilisé la stabilité économique de sa rédaction.

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Agnieszka Wiśniewska est rédactrice en chef à Krytyka Polityczna, une revue polonaise en ligne, membre de notre réseau européen Sphera, qui aborde des sujets politiques, sociaux et culturels. La vie professionnelle d’Agnieszka et de milliers d’autres journalistes a été affectée par l’arrêt, ordonné par Donald Trump, du financement de programmes américains dédiés aux subventions de médias et projets défendant la liberté de la presse dans le monde.

Initialement publié dans notre newsletter In Vivo, nous republions aujourd'hui son témoignage.

— Varsovie, le 8 avril 2025

Fin janvier, j’ai reçu un e-mail d’une organisation avec laquelle je travaille. Il était intitulé « Subvention suspendue ».

Je travaille pour une ONG libérale du nom de Krytyka Polityczna depuis 15 ans. Depuis 2002, nous défendons la démocratie, l’égalité et la liberté d’expression. Ces sujets ne suscitent pas un immense engouement, et ceux qui veulent apporter un soutien financier à cette cause ne sont donc pas nombreux. Heureusement, nous avons trouvé quelques grandes fondations et organisations internationales qui ont accepté de nous financer.

Certains de ces financements venaient de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Mais d’une seule signature, le nouveau président américain, Donald Trump, a suspendu ce soutien, ou « suspendu pour 90 jours », au mois de janvier. Nous savons maintenant que cette suspension n’est pas temporaire ; ce soutien ne sera pas renouvelé.

Je ne m’attendais pas à ce qu’une décision de Trump nous affecte, moi, mes collègues, et les médias que je connais et apprécie en Europe, de façon si rapide.

L’e-mail que j’ai lu ce samedi mémorable de janvier contenait un message court et laconique : « Je t’écris aujourd’hui pour t’annoncer une nouvelle très difficile. Nous n’avons plus accès au financement pour notre travail et devons mettre en pause toutes nos activités financées par des ressources gouvernementales des États-Unis ».

Concrètement, qu’est-ce que ça signifiait ? Cela voulait dire qu’au moment où je lisais la phrase « suspension de votre subvention à partir du 24 janvier 2025 », nous aurions déjà dû interrompre notre activité la veille.

Cette « nouvelle difficile » m’inquiétait et me faisait peur. Allions-nous devoir mettre fin à un seul projet ? À plusieurs ? J’ai vite réalisé que ce n’était que le début, et que deux jours plus tard, le lundi, nous allions suspendre d’autres activités.

Mais nous avions déjà commandé des textes à des auteur·ices, et nous devions les payer. Les textes ont ensuite été traduits, donc il fallait aussi qu’on paie les traducteur·ices. On ne pouvait pas simplement arrêter de respecter nos obligations. Impossible d’écrire à tout le monde un message du genre : « Toutes nos excuses, Trump ne nous soutient plus, donc vous ne serez pas payé·e·s pour votre travail ».

Le dimanche 26 janvier, j’ai rencontré des représentant·e·s de plusieurs médias européens indépendants. La rencontre a eu lieu à Varsovie, où j’habite et travaille. Nous avons dîné ensemble, et le lundi nous avons commencé à travailler sur un autre projet international.

Je n’ai pas pu m’empêcher de beaucoup parler de la décision de Trump. De nouvelles informations ont commencé à circuler. J’ai appris qu’une rédaction de Kiev venait de perdre ses subventions. Une autre organisation licenciait des employé·e·s, et une autre avait suspendu un programme de soutien aux médias.

La même peur qui m’avait paralysée le samedi est devenue une motivation à agir le lundi. J’ai écrit au lectorat et aux abonné·e·s de Krytyka Polityczna pour leur expliquer ce qu’il se passait. Je leur ai demandé de l’aide.

Les gens ont réagi de façon incroyable. On a commencé à recevoir des dons. Pas assez pour combler le trou dans notre budget, mais ça m’a donné un regain d’énergie.

En revanche, sur les réseaux sociaux, la situation est partie en vrille. Des haters sont sortis de nulle part. Certains nous accusant de « prendre le train américain en marche », d’autres se réjouissant qu’on soit au bord de l’effondrement. Même Elon Musk s’est joint à la discussion : « salutations », a-t-il écrit de manière sarcastique. À vrai dire, ça m’a donné encore plus de cœur à l’ouvrage.

« Ce serait bien si la suspension de l’USAID par Donald Trump relançait le débat sur les programmes de financement culturels en Pologne », a écrit une amie, journaliste et rédactrice en Pologne. « Ou peut-être que l’Union européenne devrait envisager de soutenir davantage les organismes sociaux, culturels et médias indépendants ? »

Reporters Sans Frontières (RSF) explique que : « Selon les données de l’USAID de 2023, l’agence a soutenu et financé la formation de 6 200 journalistes, aidé 707 médias non étatiques et soutenu 279 organisations de la société civile œuvrant pour le renforcement des médias indépendants. Le budget de l’aide étrangère pour 2025 prévoyait quelque 268 millions de dollars (soit environ 261 millions d’euros) alloués par le Congrès pour soutenir les médias indépendants et la libre circulation de l’information ».

Dans le rapport de RSF, ces journalistes et médias ne sont que des chiffres. Mais pour moi, ce sont des collègues, d’excellent·e·s auteur·ices et rédacteur·ices, qui se consacrent à vérifier les faits et informer les gens. Sans leur travail, nous serons plongé·e·s dans l’obscurité.

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Ce témoignage d'Agnieszka Wiśniewska, rédactrice en chef de Krytyka Polityczna, a initialement été publié dans la newsletter In Vivo de Sphera, réseau de 10 médias européens dont Médianes est coordinateur. Toutes les deux semaines, In Vivo propose un récit à la première personne qui explore l’actualité européenne sous un angle humain. Inscrivez-vous gratuitement
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