Tester son projet : Asapp, ce qui n’a pas fonctionné
Le 24 avril dernier, Asapp envoie un mail à ses lecteur·ices : l’application ferme. En décembre 2021, Médianes avait interrogé Xavier Antoyé, le rédacteur en chef du Progrès, média à l’origine de l’application. Il nous avait expliqué la stratégie de l’application puis nous l’avons recontacté au mois de juin pour comprendre ce qui n’a fonctionné.
Asapp est une application basée à Lyon et à Strasbourg, créée par le groupe de presse Ebra. Le média se concentre sur l’information locale par un résumé quotidien, des décryptages et un agenda des sorties. En décembre 2021, c’est dans les locaux du Progrès à Lyon, que Xavier Antoyé, le rédacteur en chef du quotidien et chargé de la transformation numérique du groupe Ebra, nous accueille, au milieu des journaux empilés. Situé en plein cœur de la ville, ce ne sont pourtant pas les citadin·es qui lisent les médias papiers. « Nous avons fait le constat qu’il y a un écart dans notre audience entre les lecteur·ices urbain·es et celles et ceux qui habitent la périphérie qui, eux, lisent davantage notre journal papier », explique le rédacteur en chef.

Partant de ce postulat, le groupe de presse a voulu cibler la part d’audience qu’elle ne touche pas. Alors au groupe Ebra, l’idée d’une application a fait son chemin. Sa cible ? Les 35–45 ans qui vivent en milieu urbain et cherchent à s’informer autrement.
« Nous avions des prérequis »
Dans un premier temps, Ebra a fait appel à l’institut Ipsos pour établir une étude de marché : « La première étape a été de mener une enquête sur la manière dont les urbains consomment les médias ». Quel que soit le résultat de cette enquête, Asapp avait des prérequis : pas de papier, seulement une application et un média payant.

Alors que l’équipe pensait offrir une porte d’entrée sur l’information à des personnes qui n’y étaient pas sensibles et souhaitaient avoir une autre approche de l’actualité locale, le résultat de l’enquête a révélé une toute autre réalité. « Le public intéressé par Asapp est moins jeune que notre idée de départ, et se trouve être sur-informé. Notre ligne éditoriale a donc été de faire le pari de la sobriété pour approfondir l’essentiel ».
Recruter des bêta-testeur·euses
L’application a été officiellement lancée en septembre 2021. En décembre, Xavier Antoyé déclarait que l’équipe « est toujours dans une démarche expérimentale. Avant cela, les journalistes ont mis en place deux versions bêta-test ». Une première campagne a eu lieu au printemps 2021 et a duré quinze jours. Pour cela, le groupe a fait un appel public via les réseaux sociaux pour recruter des bêta-testeur·euses. 200 personnes ont répondu présentes. « Nous nous sommes rendu compte que la première version, nous l’avions construite en miroir du Progrès, dans notre manière d’aborder l’actualité. Nous devions trouver notre propre incarnation pour nous détacher du titre print et imprimer une autre marque pour une autre cible ».
Une deuxième campagne bêta a eu lieu en août 2021 sur trois jours avec une quarantaine de testeur·euses, afin d’affiner la proposition. « Nous pensions par exemple que notre audience en avait marre de lire de la politique à longueur de journée, alors nous ne l’abordions quasiment pas. Mais les interrogé·es nous ont réclamé des sujets politiques. Nous l’évoquons alors à travers la politique locale, ce qui la rend plus concernante ».
« Se mettre en conditions réelles »

Pour Xavier Antoyé, les deux sessions de bêta-test ont permis à l’équipe de se calibrer et de tester les sujets. « Nous voulions une parution du lundi au vendredi donc on ne pouvait pas prévoir les sujets trop en amont, c’était parfait pour se mettre dans des conditions réelles de travail ». Le rédacteur en chef insiste sur l’importance de se mettre dans ces conditions, car elle prépare l’équipe.
La version bêta permet également de tester la forme et le design de l’application. Asapp s’est associé à l’agence de design d’informations Datagif pour penser l’identité. Sur le fonctionnement, les équipes se sont inspirées de l’application La Matinale du Monde. « De manière générale, il ne faut pas penser à être beau et avoir le produit parfait dans la version bêta. Le but est justement de tendre ensuite vers la construction de la proposition que l’on sera capable de tenir au quotidien ».
Fin du projet, ce qui n’a pas fonctionné
Avril 2022. Après quelques mois d’existence, Asapp Lyon et Strasbourg prennent fin. Les lecteur·ices n’étaient pas assez nombreux·euses pour faire vivre le projet, malgré les phases de test. « Après six mois de lancement, l’abonnement ne décollait pas alors que nous avions investi dans la communication », regrette Xavier Antoyé. La question n’était pas tellement celle du prix, fixé à 5 euros par mois, puisqu’en le baissant, cela n’aurait pas pu couvrir le travail des journalistes et le développement du support. « Malgré tout, c’est notre fierté de ne pas avoir transigé sur notre modèle salarial ».

Pour Xavier Antoyé, la raison de l’échec d’Asapp repose avant tout sur le support : « nous avons encapsulé notre média dans une application, ce qui n’était peut être pas la meilleure idée puisque télécharger une appli n’est pas un acte anodin. De plus, cela nous a exclu du référencement Google pour nous faire connaitre et de la communication sur les réseaux sociaux. Le choix de faire une application était peut être un peu trop radical, au regard d’un marché de l’info très concurrentiel ».
Cette expérience a tout de même été bénéfique pour la rédaction du Progrès assure le rédacteur en chef. « Nous nous sommes appropriés d’autres formats d’écritures, nous osons des choses nouvelles. La rédaction a pris confiance sur des formats notamment les interventions face caméra en vidéo », conclut-il.
Toutes les innovations dans les médias n’aboutissent pas, mais la rédaction entend s’appuyer sur les apprentissages de cet échec. Tester des formats, cette fois-ci en interne du journal.
Pour aller plus loin
- Cet entretien fait partie de notre série sur le test. Retrouvez d'autres conseils avec l'exemple des Others et leur projet Recto-Verso, la création d'un numéro 0 avec Pauline Dupin-Aymard de la revue Chassez le naturel, et l'exemple de Brief.me avec une campagne de bêta-test.
- Pour apprendre à créer votre projet média, étape par étape, vous pouvez consulter nos fiches pratiques.
- Comment annoncer la fin de son média ? Retrouvez l’exemple d’Asapp sur Instagram et l’exemple des Croissants.
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