Tour d’horizon : couvrir l’actualité en temps de guerre

Violences, désinformations… la nature même de la guerre appelle les médias à un traitement différencié, que ce soit pour mieux servir leurs publics, ou pour s’assurer de la santé de leurs équipes. Format, approche, ton, conditions de travail, outils : tour d’horizon de bonnes pratiques.

Owen Huchon
Owen Huchon

Ces dernières semaines, l’intensification de la guerre entre Israël et le Hamas a dominé une actualité déjà largement alimentée par la guerre opposant la Russie et l’Ukraine. Des journalistes ont été dépêché·es sur place, des rédactions se sont délocalisées et des médias ont créé de nouveaux formats pour éclairer leur public. Dans le même temps, la désinformation s’est intensifiée, l’accès à l’information s’est fragilisé et plusieurs journalistes ont perdu leur vie en couvrant ces événements. Un contexte anxiogène qui se traduit dans les habitudes de consommation d’un public qui, année après année, évite progressivement l’actualité.

Dans ces conflits qui tendent à s’éterniser, comment les médias garantissent-ils la production et la diffusion d’une information fiable et de qualité, tout en s’assurant que leurs lecteur·ices puissent se saisir des enjeux parfois complexes et que la santé physique et mentale de leurs journalistes ne soit pas compromise ?

Dans ce nouveau format, nous vous proposons une sélection, évidemment non exhaustive, de pistes et de pratiques repérées dans les médias. Celle-ci pourra être mise à jour ponctuellement au fil des semaines.

La pédagogie 

Comment contextualiser l’actualité, identifier les enjeux clés d'un conflit et expliquer avec des termes clairs les conséquences d’un événement ? Dans les moments où le public fait face à une actualité saturée, les médias sont appelés à rendre accessible des réalités parfois dures et violentes. 

  • Le quotidien français Le Monde propose à ses lecteur·ices un glossaire des termes qu’ils et elles pourraient rencontrer dans leur lecture de l'actualité : « Crimée », « Drone kamikaze » ou encore « Groupe Wagner ». Chaque terme mentionné dans cette liste fait l’objet d’une définition et d’une remise en contexte.
  • Dans un dossier spécial sur la guerre en Ukraine, Le Temps a souhaité s’adresser directement aux « jeunes », à leurs « parents » et au « corps enseignant ». Le quotidien suisse y répond à une série de questions : « Combien d’Ukrainiens ont fui leur pays à cause de l’invasion ? », « ONU, OTAN et UE : qui fait quoi? » ou encore « Quelles conséquences la guerre a-t-elle pour le sport? ». Un format riche en photos, cartes et vidéos. Le Temps invite par ailleurs les enseignants et leurs élèves à en commander une version ou à en télécharger gratuitement un en version PDF.
Extrait d'une des vidéos de Vox sur TikTok, initialement publiée sur YouTube

Travailler sur la désinformation

Internet a révolutionné l’accès et la diffusion d'informations. Mais des réseaux sociaux comme X (anciennement Twitter) ou TikTok, sur lesquels priment les contenus viraux, constituent également des plateformes propices à la diffusion de fausses nouvelles ou même d’éléments de propagande. Un phénomène qui a encouragé les médias à renforcer leur travail dans ce domaine, en y dédiant parfois des services entiers et à investir les réseaux concernés par la désinformation.

Extrait du guide produit par Le Monde
  • Un an après le début de la guerre en Ukraine, RetroNews a proposé une série d’archives sur l’information en temps de guerre dans le cadre de « La 34e édition de la Semaine de la presse et des médias dans l’école ». Un dossier qui rappelle notamment que la désinformation en temps de guerre est née bien avant l'avènement d’internet et des réseaux sociaux.
  • Insider News a interrogé la chercheuse Kolina Koltai, sur les méthodes de travail employées chez Bellingcat dans cette vidéo publiée sur YouTube. Elle y décrit notamment les conséquences de la désinformation en ligne dans un conflit et comment l’ONG parvient à identifier les fausses rumeurs circulant sur internet ou les vidéos manipulées.
  • Sur TikTok, une journaliste de l'agence américaine Reuters explique comment certain·es internautes ont pu confondre des images, provenant à l’origine d’un jeu vidéo, avec de véritables événements. En publiant ce travail sur TikTok, l’agence espère atteindre directement des utilisateur·ices de la plateforme qui auraient pu être trompé·es par ce type de contenu.

Faire usage de la data visualisation et de la cartographie

La cartographie peut illustrer, de manière claire et détaillée, un certain nombre d’enjeux parfois complexes à travers un simple article. Elle peut faciliter l’identification des différentes zones de conflit ou suivre les déplacements des forces armées. Plusieurs médias ont tiré avantage des cartes et de la data visualisation pour illustrer et enrichir leur offre éditoriale, proposant une lecture holistique des conflits.

  • Sur son site internet, le Washington Post a diffusé une carte interactive permettant de suivre l’évolution de la frontière entre l’Ukraine et la Russie à travers 12 mois de conflits. Des encarts informent le lecteur ou la lectrice de la localisation de points stratégiques et de territoires ayant fait l’objet d’une lutte intense. L'hebdomadaire allemand Die Zeit propose également sa propre carte interactive sur le suivi du conflit.
Extrait de la carte interactive du Washington Post

Dans son format, le Washington Post suggère également à la fin de la lecture une sélection d’articles, publiée au cours de l’année, à lire ou relire.

  • Plusieurs pages du premier numéro de Kometa, qui entend « mettre l’Est au centre de la carte », sont dédiées à la cartographie. Le média, qui mise sur les longs récits et la photographie, s’en sert pour raconter l’évolution du territoire russe durant ces derniers siècles ou de démontrer comment Moscou révise les manuels scolaires des élèves.
  • Lorsque le conflit a éclaté en Ukraine, Le Figaro a rapidement mobilisé une partie de son équipe sur la cartographie. Un travail qui, encore à ce jour, fait l’objet d’un succès dans les résultats d’audience. Pour La Revue des Médias de l’INA, Stéphane Saulnier, chef du pôle Datavisualisation, et Dario Ingiusto, chef adjoint du service Infographie, racontent les coulisses de la conception d’une carte et évoquent l’importance de ce travail dans le cadre du traitement d’un conflit.
  • Dans cette conférence, Nadja Kelms décrit le travail de data visualisation réalisée par la rédaction du média indépendant Texty, basé en Ukraine. Elle y présente notamment les différents types de données collectées par l’équipe et de la manière dont elles sont présentées aux lecteur·ices. 
  • Vous songez à utiliser la data visualisation ou la cartographie dans votre propre travail sur les conflits mais vous ne savez pas par où commencer ? Consultez le guide du Global Investigative Journalism Network sur le sujet : How to Use Data Journalism to Cover War and Conflict

Transparence et honnêteté

Les médias et les journalistes ne sont évidemment pas exempts d’erreurs et d’approximations, encore moins en temps de guerre. Dans ces cas de figure, il convient alors de les admettre, en toute transparence, et de corriger. Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation propose notamment une série de recommandations dans un guide sur le sujet.

  • D’autres médias assurent également ce rôle de vigie. Le média en ligne Arrêt sur images a par exemple reconstitué la chronologie de la diffusion d’une information erronée sur le bombardement d’un hôpital à Gaza, largement relayée par de nombreux médias à travers le monde.
  • Dans cet effort de transparence, il peut également s’avérer utile de raconter comment les journalistes travaillent. Maryse Burgot, grand reporter pour France Télévisions, a répondu aux questions du public sur sa couverture du conflit en Ukraine : « Faites-vous des cauchemars ? » demande par exemple Hugo ou « Comment faire pour rester neutre dans de telles situations ? » s’interroge Thibault.
  • Dans le cadre de sa série « Behind the story » dans laquelle le Washington Post raconte sa propre fabrique de l’info, le journal américain a proposé à 3 journalistes de s'exprimer sur leur travail en Ukraine. Leurs récits retranscrits dans cet article sont illustrés par leurs propres reportages réalisés sur place.

Former et protéger ses journalistes

La couverture de conflits en Ukraine ainsi qu’au Proche-Orient a coûté la vie à de nombreux journalistes. Au-delà de leur sécurité physique, ce genre de mission à haut risque peut également avoir un impact sur leur santé mentale comme le rapporte Poynter.

  • Le groupe France Médias Monde (RFI, France 24, MCD) et l'INA organisent depuis quelques années un stage à destination des journalistes qui seront amené·es à couvrir des conflits. Les enseignements dispensés couvrent les bonnes pratiques et réflexes à adopter sur internet ou encore les techniques à apprendre afin de traiter une hémorragie.
  • Dans ce format making-of, l’Agence France-Presse mentionne quelques pratiques mises en place au sein de l’agence afin de préserver la sécurité des journalistes et de leurs sources.
  • Du fait de la nature de leur travail, les journalistes peuvent également constituer des sources précieuses dans le cadre de futurs procès visant à punir les crimes de guerre. Le Reckoning Project cherche à former les journalistes à mieux recueillir des informations pour leurs articles ainsi que des preuves de crimes de guerre qui pourront, à l’avenir, être utilisées devant les tribunaux internationaux. 
  • Ce dossier constitué par le Réseau International des Journalistes sur les « Conseils et ressources pour couvrir le conflit Israël-Gaza » répertorie une série de ressources à destination des journalistes et médias souhaitant couvrir le conflit. Une partie est dédiée à la sécurité physique et mentale dans laquelle IJNET mentionne notamment le guide du Dart Center sur la gestion des traumatismes ou le kit de sécurité du Committee to Protect Journalists.
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Médianes, le studio, a accompagné les médias Kometa et Arrêt sur images dans leurs développements stratégiques, et collabore avec le groupe France Médias Monde (RFI, France 24, MCD) sur de la veille numérique et sur des chantiers de transformation.

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Owen Huchon est journaliste chez Médianes. Il est en charge de la communauté.