Augustin Naepels (Les Jours) : « Un média est avant tout un projet entrepreneurial »

En tant que journaliste, lancer un média peut susciter quelques appréhensions, notamment en ce qui concerne la gestion. Voici les éléments à garder à l’esprit pour avancer sereinement.

Marine Slavitch
Marine Slavitch

Augustin Naepels occupe le poste de directeur général au sein du média en ligne Les Jours. Seul cofondateur non-journaliste de l’équipe, il a pris en charge les aspects techniques et financiers liés à la gestion du média dès ses débuts, en 2016. Des démarches juridiques à la comptabilité, en passant par l’élaboration du plan d'affaire (business plan), Augustin Naepels détaille les étapes incontournables pour lancer son média, en mettant l’accent sur la gestion.

Quelles sont les premières démarches légales et administratives à entreprendre pour lancer un média ?

Si c'est un média à vocation professionnelle, l'une des premières choses à faire est de créer la structure juridique, à savoir : entreprise ou association. Différentes options sont possibles. Ce choix, on le réalise en fonction des objectifs et du degré de caractère lucratif du projet. Les structures les plus classiques que l’on rencontre dans les médias sont les formes associatives et les formes de sociétés par actions (SAS). Aux Jours, nous sommes une SAS, avec une particularité qui est que nous avons choisi le statut d'entreprise solidaire de presse d'information (ESPI). Ce statut nous engage à réinvestir dans la société au moins 70% des bénéfices annuels. Cela permet ensuite d'avoir des réductions fiscales pour les actionnaires qui choisissent d'entrer à notre capital.

Comment choisir son statut juridique ? 

Les statuts régissent le fonctionnement juridique d’une société. Mieux vaut passer par des avocat·es ou des juristes pour les choisir. Certes, des modèles sont disponibles, mais le sujet reste sensible. Ces statuts impliquent des conséquences importantes sur la gouvernance du média. S’il y a plusieurs associé·es, mieux vaut bien s’intéresser à ce qu’il y a dedans. Un·e conseiller·e juridique ou un·e expert·e comptable spécialisé·e dans l’accompagnement de la création d’entreprise pourra vous aider à réaliser ces choix.

Une fois les démarches juridiques effectuées, quelle est l’étape suivante ?

On arrive au moment le plus important : l’élaboration du business plan. Il s’agit de définir notre modèle économique et de se demander combien de temps on va mettre pour arriver à l’équilibre. De combien de personnes, de combien d’argent va-t-on avoir besoin pour remplir notre ambition ? Tout cela relève de la gestion du média. Ce processus peut d’ailleurs commencer avant d'avoir créé la structure, parce que cette étape définit la viabilité du média.

À quoi sert un business plan

Il s’agit de la capacité à répondre à cette question : quelles sont les hypothèses qui vont faire que je vais pouvoir, un jour, vivre de ce média ? La plupart des personnes qui se lancent dans la création de médias le font soit avec un capital initial, soit en se donnant un certain temps. Souvent, la question que la plupart des fondateurs et fondatrices se posent est : « combien de temps puis-je tenir jusqu’à l’atteinte d’un équilibre où je vais pouvoir me rémunérer ? ». Il convient de réaliser un test de cohérence. Si le média a besoin de réunir plus d’abonné·es que Le Monde en moins d’un an pour être viable, il y a sûrement un problème. Il faut se demander si le cap que l’on se fixe est économiquement réaliste. 

Quand vous avez lancé Les Jours, quel objectif vous étiez-vous fixé ?

Dans la toute première version de notre business plan, nous visions 8000 abonné·es, si je me souviens bien. On s’est finalement rendu compte que ce serait un peu en dessous. On avait prévu d’avoir vingt journalistes au sein de l’équipe, ce que nous avons également dû ajuster. Quand on a vu que la trajectoire n’était pas exactement celle-là, nous avons affiné nos projections avec une équipe plus réduite. C’est très classique. Les meilleurs business plans ne résistent pas forcément au contact avec la réalité. Ce qui compte, c’est d’être en mesure d’ajuster et d’opérer un suivi régulier. 

Comment réaliser ce suivi ?

Le business plan est un document stratégique que l’on réalise généralement à un horizon de deux ou trois ans. Après, on passe à la gestion d’un budget ou d’un plan de trésorerie qui vise à s’assurer que, chaque mois, on sera en capacité d’assumer les dépenses et de verser les salaires.

Quelles dépenses faut-il prendre en compte dans son budget ?

Pour un média en ligne, il faut compter les salaires de l’équipe, les piges, la production éditoriale, la création et la maintenance des outils techniques. Généralement, il convient de prévoir un investissement initial afin de développer la création d’un site ou d’une application. On peut également retrouver par la suite des dépenses liées à l’évolution du média, par exemple l’appel à des prestataires externes, ou bien de nouveaux postes salariés de développeur·ses ou de chargé·es de marketing et de communication. Sur ce dernier volet, il peut également y avoir des dépenses de publicité, ou en tout cas d’acquisition d’abonné·es. Cela peut être également une régie commerciale si on est un média B2B qui doit vendre de la publicité ou des abonnements. Enfin, il y a toujours une section de frais plus généraux avec les loyers et l’équipement informatique.

En tant que journaliste, on s’imagine souvent que créer un média, c’est avant tout proposer une nouvelle façon de transmettre l’information. Toute cette gestion administrative est-elle un passage obligé ?

Il n’est pas possible d’externaliser complètement la gestion. Un projet de média n’est pas qu’un projet éditorial. C’est aussi et avant tout un projet entrepreneurial. Si tous·tes les associé·es sont journalistes, l’un ou l’une devra forcément s’intéresser à la partie gestion. Il faut une discussion entre associé·es pour définir qui va essayer de s’acculturer à ces sujets. Dans le cas des Jours, étant le seul cofondateur non-journaliste, la répartition des rôles a tout de suite été très claire : je m’occupe de tous les aspects du média qui ne sont pas liés à l’éditorial. Cela ne veut pas dire qu’il faut à tout prix, au sein de l’équipe, un ou une spécialiste formé·e à ces questions. Du côté du média féministe La Déferlante, Marie Barbier a choisi de s’occuper de ces aspects, même si elle reste journaliste. Les bases ne sont pas si compliquées à acquérir. Quand on a envie d’entreprendre, normalement, on a aussi envie de se confronter à tous ces sujets. 

Faut-il tout de même chercher un·e comptable ? 

C’est un passage obligé ! Un·e comptable qui conseille bien, c’est précieux. Son rôle est d’aider à remplir les obligations réglementaires, déclarer la TVA, payer les impôts éventuels. La gestion, quant à elle, relève de votre domaine. Pour trouver un·e comptable, le mieux, c’est de demander à vos pairs. Il est également possible de se rapprocher d’entités comme le Spiil [Augustin Naepels est Vice-président du Spiil, en charge des affaires institutionnelles, NDLR]. Ce syndicat est là pour aiguiller, donner des premiers conseils, mettre en relation avec d’autres médias indépendants et fournir éventuellement des recommandations. Au début des Jours, leur accompagnement nous a été d’une grande aide.

Quels outils utilisez-vous pour simplifier les processus comptables ?

J’utilise depuis peu Spendesk, un outil de gestion des dépenses qui permet notamment de faciliter le paiement des factures de ses fournisseurs. De manière générale, le mieux, c’est de s’adapter aux outils que son cabinet comptable utilise pour dématérialiser la transmission des justificatifs. 

Qu’aurais-tu aimé savoir au lancement des Jours par rapport à la gestion du média ?

Je trouve que le domaine le plus compliqué, ce sont les ressources humaines : tout ce qui concerne la paie est en général très complexe, et encore plus s'agissant des journalistes, des pigistes, etc. Il ne faut surtout pas négliger cet aspect. On ne perdra jamais à se faire accompagner pour partir sur de bonnes bases.


Pour aller plus loin

  • Une idée de média vous trotte dans la tête ? Vous souhaitez développer davantage votre projet existant ? Cette fiche est construite de manière progressive afin de vous permettre de structurer votre projet et d’aboutir votre idée, pas à pas.
  • Quand on crée un média, on a par­fois ten­dance à faire pass­er les con­sid­éra­tions admin­is­tra­tives et juridiques un peu au second plan, au risque de se réveiller un jour avec une mau­vaise sur­prise. Voici trois actions pour vous met­tre à la page, même si vous êtes atteint·e de pho­bie administrative.
  • Si vous pensiez faire un trait sur les mathématiques en vous lançant dans les médias, détrompez-vous. Sans être data-analyste, une bonne connaissance de vos données peut s’avérer nécessaire. Elle vous permettra de fixer des objectifs utiles à votre développement et de mieux saisir les attentes de votre communauté.
  • Léry Jicquel est le fondateur du Concentré Vélo, une newsletter sur l’actualité de la culture cyclable. Il nous décrit les différents leviers de financement de sa newsletter, de la sponsorisation au job board en passant par un catalogue de Noël. Au cœur de sa stratégie ? Une vision « produit ».
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Médianes, le studio, accompagne les équipes de La Déferlante.
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Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de veille.