Festival Imprimé 2024 : faire émerger de nouvelles voix

La troisième édition du Festival Imprimé s’est tenue le 4 mai 2024, à Cenon, près de Bordeaux. Co-organisé par Médianes et Revue Far Ouest, l’événement a mis en avant un journalisme engagé et conscient des enjeux de son époque pour faire collectivement société.

Owen Huchon Marine Slavitch

Le samedi 4 mai a eu lieu la troisième édition du Festival Imprimé, que Médianes co-organise aux côtés de Revue Far Ouest. Extrême droite, sexualité, écologie, protection des sources, avenir du journalisme… Cet événement fut l’occasion d’échanger autour de cinq grandes thématiques pour trouver collectivement les moyens de construire de nouveaux modèles de société, plus inclusifs et plus durables. On vous refait le film.

Médias et extrême droite : après la banalisation 

Une table ronde animée par Simon Barthélémy, cofondateur de Rue89 Bordeaux, avec Nassira El Moaddem, journaliste à Arrêt sur images, Christophe-Cécil Garnier, rédacteur en chef adjoint du pôle enquête à StreetPress et Youmni Kezzouf, journaliste en charge de l’extrême droite à Mediapart.

Les thèses portées par l’extrême droite semblent peu à peu pénétrer tous les pans de la société, à commencer par les médias. Quel rôle ces derniers ont-ils dans la facilitation de la circulation de ces discours ?

Depuis quelques années, le traitement médiatique de l’extrême droite a bien changé. Une mutation qui s’observe dans le choix des sujets, l’angle des reportages mais aussi l'usage des mots. « Le terme extrême droite n’est quasiment plus utilisé à la télévision » explique Nassira El Moaddem, journaliste chez Arrêt sur images. « Le Rassemblement national (RN) n’est plus un parti d’extrême droite pour certaines chaînes d’info en continu. Pour CNEWS c’est très clair, mais ce phénomène contamine maintenant l’ensemble du paysage audiovisuel français. Pendant longtemps, BFMTV n’hésitait pas à dire que le RN était un parti d’extrême droite. Aujourd’hui, ce mot n’est plus prononcé ». 

La banalisation de l’extrême droite dans l’espace médiatique s’accompagne également d’une recrudescence des discours violents à l’égard de la presse et notamment des journalistes chargé·es de couvrir leurs représentant·es. Un basculement qu’a notamment observé Christophe Cécil-Garnier, journaliste chez StreetPress : « Les groupes sont beaucoup plus violents qu’avant. Maintenant que les idées et discours sont omniprésents dans notre société, ces personnes peuvent avancer à visage découvert ». Une violence qui s’exprime ouvertement, notamment sur les réseaux sociaux. Les rédactions prennent donc certaines dispositions afin d’assurer la sécurité de leurs journalistes, ou du moins limiter leur exposition aux menaces et aux insultes.  « Je me suis pris quelques vagues une fois ou deux, raconte Youmni Kezzouf, journaliste chez MediapartÀ la rédac, on a des outils informatiques qui nous permettent de filtrer tout cela, on a les moyens de se protéger ».

Cette violence, qui s’exprime souvent sur fond de racisme ou de sexisme, Nassira El Moaddem en a notamment fait les frais après avoir été prise à partie par un député du Rassemblement National sur le plateau de CNEWS. « Cela a donné lieu à une campagne de cyberharcèlement pendant 48h, avec menaces de mort, menaces de viol. La profession m’a massivement soutenue », raconte-t-elle.

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Médias et sexualité, un vrai sujet de société

Une table ronde animée par Marine Slavitch, journaliste cheffe de rubrique chez Médianes, avec Anaïs Carayon, rédactrice en chef d’URBANIA France et Stéphanie Estournet, journaliste indépendante spécialisée sur les questions de sexualité, autrice de la newsletter C’est sextra sur la plateforme Kessel.

Si la sexualité est monnaie courante sur les réseaux sociaux, les médias traditionnels restent encore timides sur le sujet. Nos valeurs, nos convictions et notre militantisme sont-ils voués à s’arrêter à la porte de la chambre à coucher ?

Pour la presse, la sexualité reste un sujet tabou, relégué au second plan ou aux magazines d’été : « On est toujours dans des rubriques sexo, ce mot me gêne, regrette Stéphanie Estournet. Il évoque l'idée qu’on va effleurer quelque chose, rester en surface. Ce n’est pas très sérieux. » Une invisibilisation, qui concerne pourtant un sujet d’intérêt public, auquel participent les réseaux sociaux et les moteurs de recherche qui ne voient pas d’un bon œil la présence de ces sujets sur ses plateformes. « On le constate systématiquement. Le mot sexe on l’écrit avec une astérisque qui remplace le E, c’est quand même fou » explique Anaïs Carayon. « Si on diffuse une vidéo qui parle de sexualité, on est puni par Meta ». Face à ce phénomène, les journalistes tentent de créer leurs propres espaces dans lesquels leur parole sera plus libre. C’est notamment le cas de Stéphanie Estournet : « ma newsletter, c’est le seul endroit où je suis chez moi. C’est la raison pour laquelle je l’ai créée ».

Mais lorsque les médias franchissent le pas et font une place à la sexualité, les sujets et les angles choisis posent parfois question. « Le traitement médiatique rester profondément sexiste donc notre rapport au sexe l’est aussi » observe Anaïs Carayon. Un phénomène qui s’explique en partie par le manque de moyens alloué à ces thématiques explique-t-elle et qui aura un impact sur la qualité et le sérieux des sujets : « Il n’y a pas d'argent donc on va budgétiser, on va donc choisir ses sujets et le cul, ce n’est pas un sujet. On va faire en interne, on ne va pas faire appel à des gens qui sont spécialisés ».

Malgré ces obstacles, Stéphanie Estournet constate une tendance positive au sein des rédactions françaises : « La parole va vers plus d’égalité, les sujets de l’intime prennent une place petit à petit ». Un basculement positif et crucial pour Anaïs Carayon qui encourage les médias à couvrir la sexualité avec sérieux et déontologie, notamment auprès d’une jeunesse qui pâtit d’un manque d’informations. « Je pense que l’éducation des jeunes est hyper importante et je ne suis pas sûre que ceux·celles-ci parviennent à s’informer sur des comptes TikTok, justement parce que le réseau est très prude ». 

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Couvrir l’écologie à l’heure du backlash

Une table ronde animée par Sylvain Lapoix, journaliste chez Revue Far Ouest, avec Anne-Sophie Novel, journaliste spécialisée dans les alternatives écologiques et les médias, Louna Wemaere, responsable de projet pour l’association Quota Climat et Léa Gorius, journaliste à Reporterre.

Alors que les raisons de parler du climat se multiplient, le traitement de ces sujets se heurte à la lassitude des lecteur·rices et au prisme tenace de l’ancien monde. Comment appréhender le phénomène d’évitement médiatique ?

Selon Louna Wemaere, les médias ont leur part de responsabilité dans ce phénomène de « fatigue informationnelle » à l’égard de l’actualité environnementale : « Dans le discours médiatique sur les 20 dernières années on a parlé deux fois plus du nucléaire que de l’éolienne. 80% du temps, quand on parle des énergies renouvelables, on en parle sous l’angle des contestations sociales, donc de manière négative ».  Toutefois, elle considère que le public reste préoccupé par ces questions malgré la couverture médiatique qui en est faite par certaines rédactions :  « Il y a beaucoup d’études qui montrent qu’il y a un intérêt informationnel sur les questions écologiques et qu'il s'agit d’une préoccupation politique ».

Afin de renouer le lien avec le public et traiter ces sujets de façon plus efficace, la formation des journalistes devient alors la méthode privilégiée par certaines rédactions qui font appel à des structures comme Samsa, pour laquelle travaille Anne-Sophie Novel, et qui dispense des formations à destination des professionnel·les de la presse. « Il y a eu un moment de bascule en 2022-2023, se remémore-t-elle. Quand on publie la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique, on est en septembre 2022, Radio France annonce aussi son tournant environnemental. Il y a alors une demande de formation importante (...) il y a un engouement ».

Mais le traitement éditorial des sujets liés à l’environnement, aussi sérieux soit-il, est loin d’être exempt d’un « backlash » souvent initié par les milieux climatosceptiques. Alors que Léa Gorius proposait par exemple de faire un sujet sur les chemtrails, ces traînées blanches créées par le passage des avions, la rédaction s’est inquiétée des retours négatifs dont elle pourrait faire l’objet. « Le journaliste qui a écrit le papier m’a dit “ T’es sûre ? ” » se remémore-t-elle. Pourtant, malgré un accueil peu chaleureux, les médias se doivent d’investir ces plateformes afin de toucher des publics jeunes. « Sur TikTok, c’est difficile de s’intégrer dans le flux des gens, et d’être visible parmi les vidéos montrant des personnes qui font des haul de fast fashion par exemple » précise Léa Gorius.

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Protection des sources : un principe mis à l’épreuve

Une table ronde animée par Owen Huchon, journaliste pour Médianes, avec Ariane Lavrilleux, journaliste à Disclose et Pauline Delmas, chargée de contentieux et plaidoyer à Sherpa.

L’actualité en a été maintes fois le rappel : la protection des sources, ô combien importante à la pratique du journalisme, est mise à l’épreuve. Comment assurer la préservation de ce principe essentiel ?

En septembre 2023, le domicile de la journaliste Ariane Lavrilleux est perquisitionné. « En rentrant chez moi, les agents de la DGSI et la juge d’instruction m’ont dit : "si vous nous montrez tout de suite où sont les documents ça ira plus vite". L’objectif était clairement de trouver mes sources », raconte-t-elle.

Un épisode qui participe à un « rétrécissement de l’espace civique » selon Pauline Delmas, « où on va attaquer des militant·es, journalistes, lanceur·euses d’alerte » et pourtant tout à fait légal. « Ma garde à vue a été rendue par une loi qui date de 2010, portée par Rachida Dati, qui était à l’origine supposée assurer la protection des sources avec une exception » explique Ariane Lavrilleux. « Vous avez le droit de récupérer les sources d’un journaliste au nom d’un impératif prépondérant d’intérêt public, ce que la justice va décider. Même si vous avez révélé une information d’intérêt général, qu’importe, cela reste du secret défense et vous pouvez être poursuivi par la justice en toute légalité. » C’est justement cette notion floue « d’impératif prépondérant d'intérêt public » qui pose question et qui « ouvre la porte à l’arbitraire » selon Pauline Delmas, pour qui la protection du secret des sources n’est pas un simple privilège mais bien un outil démocratique. « Il faut garder cet adage en tête : pas de source, pas d’information, pas d’information, pas de démocratie. »

D’autant que ces atteintes répétées touchent les grands médias nationaux tout comme la pérennité de petites rédactions indépendantes et locales qui s’adonnent à l’investigation « Pour répondre aux attaques, il faut des outils, des avocat·es, cela a un coût » alerte Ariane Lavrilleux. « On est des médias soumis à des pressions très fortes et nous n’avons pas des millions d’euros d’assises financières ».

Pour y remédier, Sherpa a notamment formulé un nombre de propositions qu’elle a soutenu dans le cadre des États généraux de la presse indépendante. « La première chose à faire est de venir préciser comment et sous quelles conditions on peut atteindre au secret des sources, si on considère que celui-ci n’est pas absolu. Il faut que ce soit mieux défini et que la notion d’impératif prépondérant d’intérêt public soit mieux encadrée ».

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Le futur du journalisme

Enregistrement d’un épisode de Programme B, avec Binge Audio et en collaboration avec KissKissBankBank.

Une rencontre animée par Thomas Rozec, journaliste pour l’émission Programme B de Binge Audio, avec Vincent Manilève, journaliste indépendant spécialisé sur la culture web, Aude Favre, journaliste fondatrice de WTFake! et Alexandra Colineau, responsable de plaidoyer pour l’association Un Bout des Médias.

Défiances des publics, avènement de l’IA générative, furie des réseaux sociaux, concentration des médias… Comment réinventer et protéger le rôle du·de la journaliste afin de lui permettre de continuer à assumer sa mission d’intérêt public et de nous aider à mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons ?

Selon Vincent Manilève, la profession est touchée par un phénomène de précarité qui fragilise la presse. « C’est difficile de ne pas tomber dans une course en avant. C’est le quotidien de nombreux·ses pigistes. Un grand nombre de journalistes abandonnent, à cause de la précarité du secteur. Il y en a peu qui vont trouver leur place sur le long terme ».

Pour y remédier des journalistes indépendant·es explorent diverses pistes pour espérer toucher une rémunération décente et régulière. Aude Favre a par exemple « proposé de devenir membre » sur sa chaîne YouTube « pour 5 euros, 10 euros » par mois. Vincent Manilève a lui ouvert un compte sur Patreon afin de recevoir des dons de la part de sa communauté ce qui lui permet de « dégager 900 euros par mois ».

Pourtant, convaincre ses lecteur·ices de leur apporter une aide financière n’est pas évident. « Moins de 10% des gens sont prêts à payer pour de l’info » rappelle Alexandra Colineau. « Pourtant on a besoin d’argent pour faire de l’info de qualité. Les citoyen·nes et lecteur·ices sont aussi acteur·ices, ont une part à jouer ». Mais pour convaincre, les journalistes doivent pouvoir se vendre, voire construire une marque autour de leur identité. « C’est important en tant que jeune journaliste, d’apprendre à se vendre, même si ce n’est pas simple et pas idéal, on peut se dire qu’on n’a pas signé pour ça. Ce n’est pas quelque chose qu’on apprend en école de journalisme » constate Vincent Manilève. 

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Pour aller plus loin

  • Vous pouvez retrouver le programme détaillé de l'événement et la liste de nos partenaires sur le site du Festival Imprimé.
  • Les captations de l'ensemble des tables rondes sont disponibles en ligne.
  • Par ici pour lire le compte-rendu de la deuxième édition du Festival Imprimé, qui s’est tenue le 1er avril 2023 au Rocher de Palmer.
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Owen Huchon est journaliste chez Médianes. Il est en charge de la communauté et de la newsletter des 10 liens.

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Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de stratégie.