Intimité ou convivialité ? Trois formats pour raconter ses coulisses

Pour expliquer leur fonctionnement interne, Arrêt sur images, Mosaïque et franceinfo ont testé différents formats. Retours d’expérience.

Marine Slavitch
Marine Slavitch

À quoi cela ressemble, une rédaction ? D’emblée, on imagine une scène d’action dans laquelle des journalistes pressé·es courent d’un bout à l’autre d’un open space, téléphone à l’oreille sous l’œil inquisiteur d’horloges murales affichant des heures de bouclage toujours imminentes. À bien des égards, la réalité s’apparente davantage à une scène de Caméra Café qu’aux Hommes du président.

1. Dans des vidéos destinées aux réseaux sociaux

Raconter le fonctionnement réel d’une rédaction permet de rendre les journalistes plus humain·es et proches de leur public, au-delà d’une déconstruction des stéréotypes. C’est dans cette optique que franceinfo, du groupe Radio France, a choisi de débuter une série de vidéos courtes baptisée « Les Coulisses de l’info ». Chacune vise à présenter un service, un métier, une tranche d’information.

La première de cette série dévoile les coulisses de la préparation de la matinale de Jérôme Chapuis et Salhia Brakhlia. Premier constat : l’ambiance est plutôt douce. « Toutes les personnes qui travaillent sur cette tranche arrivent à 3h du matin, explique Margaux Samuel, Responsable de la communication de franceinfo, à l’initiative de ces vidéos. C’est la nuit, les lumières sont tamisées et les échanges se font dans le calme. » Surtout, personne ne court. « On ne peut pas arriver à l’antenne essouflé·e, alors on marche, même si on craint d’être en retard au studio. »

Les vidéos ne présentent pas que les journalistes stars, l’objectif étant de montrer l’ensemble de la chaîne qui permet à l’information d’atteindre le public : les technicien·nes en régie, les programmateur·ices, les journalistes au desk… « L’idée, c’est que tout le monde puisse s’identifier, souligne Margaux Samuel. On veut démystifier notre façon de travailler auprès du grand public. Même au niveau du montage, on essaie de faire un truc sans artifice, assez brut qui présente les échanges tels qu’ils sont. »

On pourrait penser qu’un groupe comme Radio France préférerait ne pas altérer son image glamour auprès du grand public. Le projet a pourtant rapidement été mis sur les rails, note Margaux Samuel. « Il nous a suffi de faire valider l’idée auprès de Jean-Philippe Baille, directeur de franceinfo. Ensuite, ce fut au tour de la présidence du groupe de donner son accord. Tout est allé très vite étant donné qu’il y a un intérêt de service public à lancer ce type d’initiative. »

2. Dans l’intimité d’un groupe privé

Dans de plus petites structures, les projets de ce type sont souvent moins produits, plus collégiaux. Depuis le 17 juin, la revue spécialisée sur le rap Mosaïque teste les canaux de diffusion sur Instagram pour raconter ses coulisses. Baptisée « MOSA’VIP », la chaîne vise à faire vivre la revue de l’intérieur. Des préparations de la newsletter aux pauses-café en passant par des exclus sur la prochaine couverture du magazine, les fondateur·ices de Mosaïque, Lise Lacombe et Thibaud Hue, profitent également de cet espace pour livrer des recommandations culturelles en fonction de leurs goûts personnels : à quel concert aller ce soir ? Où célébrer la fête de la musique ? Et le 14 juillet ?

Plus spontanés et moins compliqués à réaliser qu’une story ou un post Instagram, ces messages peuvent être envoyés à tout moment et permettent de fidéliser les lecteur·ices en leur donnant accès aux coulisses du magazine. Parce qu'il favorise le côté intimiste, le canal offre au média une nouvelle possibilité d'incarner ses contenus. « On a déjà partagé des photos de nos têtes, cela permet aux gens de se dire “Ah OK, c’est eux !” Le canal crée de l’attachement », souligne Lise Lacombe, cofondatrice de la revue. 

Un extrait du canal de diffusion de Mosaïque

La revue compte aujourd’hui 1 700 membres dans son canal pour 13 100 abonné·es sur Instagram. « C’est le bon équilibre, commente Lise Lacombe. On ne fait jamais trop la promo du canal parce qu’on ne souhaite pas se retrouver avec 10 000 personnes. Cela perdrait de son intérêt. » Pour les « vrai·es » fans de la revue, le groupe privé réserve même des surprises. Il arrive que les artistes en Une du dernier numéro soient invité·es à rejoindre le canal et partagent des photos ou messages vocaux à la communauté.

Pour Mosaïque, le récit des coulisses est tout de suite entré dans la proposition de valeur de la revue. « Dès le début, on l’a fait très naturellement en stories, sur Twitter ou via notre newsletter. Cela permet aux gens de comprendre ce qu’ils achètent, estime Lise Lacombe. Derrière cette revue à 17 euros, il y a une équipe indépendante de passionné·es qui impriment en France. Toutes les anecdotes que l’on raconte au quotidien permettent de se rendre compte du travail que l’on mène. »

3. Dans la convivialité d’un live Twitch

Vous trouvez trop contraignant de distiller des anecdotes au compte-gouttes ? Une bonne option peut être d’instaurer un rendez-vous avec votre audience. Du côté du site de critique média Arrêt sur images, l’équipe raconte le quotidien de la rédaction tous les mois lors d’une Foire aux questions diffusée sur Twitch et republiée sur le site. L’occasion pour les journalistes de répondre à toutes les questions sur leur travail, et pour les managers d’expliquer comment fonctionne la rédaction en interne.

Dans ces lives, tout le monde a sa place autour de la table. « Paul Aveline et Nassira el Moaddem [respectivement Rédacteur en chef du site et journaliste indépendante à la présentation de certaines émissions d’Arrêt sur images, NDLR.] présentent régulièrement des émissions et sont déjà bien identifié·es par notre public. En revanche, on voit moins Adèle, notre documentaliste. L’idée, c’est de permettre à chacun·e de se présenter et de répondre aux questions des spectateur·ices », décrit Sophie Roncetto, Responsable marketing et communication et animatrice de la FAQ mensuelle d’Arrêt sur images.

La dernière Foire aux questions d'Arrêt sur images

L’idée a émergé quand l’équipe s’est rendu compte que les mêmes questions revenaient souvent dans l’espace commentaires du site. Quel est le modèle économique d’Arrêt sur images ? Quelle relation la rédaction entretient-elle avec Daniel Schneidermann, fondateur historique du média lancé en 2007, qui a passé le relais à la nouvelle génération en 2022 mais continue d’écrire des chroniques sur le site ? Pourquoi certaines chroniques sont-elles subitement arrêtées ? Cette transparence donne envie d’en apprendre toujours plus sur le fonctionnement du média et d’ouvrir des séquences d’annonces sur les nouveautés liées au média. Les lecteur·ices n’hésitent pas, lors des lives, à poser des questions précises sur le recrutement des journalistes, sur de possibles désaccords dans l’équipe, sur leurs relations avec certains médias en particulier.

Côté organisation, les deux premières FAQ (700 spectateur·ices pour la première, 250 pour la seconde) ont été réalisées avec l’ensemble de la rédaction. Un système de roulement permettait de répartir la parole, une partie de l’équipe étant présente la première heure avant de laisser la place à leurs collègues en deuxième partie. Les prochaines devraient être plus thématisées, avec seulement les membres concernés (et volontaires) de l’équipe autour de la table.

Les dons, activables sur la plateforme Twitch, ne le sont pas pour les émissions d’Arrêt sur images. « On a beaucoup d’abonné·es qui n’aiment pas Twitch et de notre côté, on ne voulait pas non plus donner de l’argent à cette plateforme. Alors on renvoie les abonné·es chez nous, sur la plateforme que nous utilisons habituellement pour les dons », explique Sophie Roncetto. Cette défiance par rapport à Twitch explique également la nécessité pour le média de poster le replay sur son site et de demander en amont à leurs lecteur·ices s’ils et elles ont des questions à poser à la rédaction. Celles-ci sont recensées sur les réseaux sociaux et dans l’espace commentaire du site.

Le conseil de Sophie Roncetto à celles et ceux qui souhaiteraient lancer un format similaire sur Twitch : « Ne vous prenez pas la tête. Au début, je voyais cela comme quelque chose de très formel à cause des caméras, du plateau. Mais c’est un format très décontracté, et c’est OK d’avoir un blanc, de bégayer, de faire une blague qui floppe. Sur Twitch, les spectateur·ices sont particulièrement bienveillant·es. » 


Pour aller plus loin

  • Les médias sont des pro­jets entre­pre­neuri­aux qui ont par­fois du mal à communiquer sur eux-mêmes. Pour­tant, c’est un sujet d’in­térêt général et un levi­er mar­ket­ing impor­tant. Booska‑P, Les Jours ou encore Gim­let dévoilent leurs couliss­es, et cette for­mule fonctionne.
  • Élec­tions, cryp­tomon­naies, géopoli­tique… Autant de sujets qui deman­dent de la nuance et du temps, pour lesquels les for­mats des réseaux soci­aux ne sont pas tou­jours adap­tés. Pour fidélis­er une com­mu­nauté et don­ner con­fi­ance, cer­tains médias mis­ent sur l’in­car­na­tion par une seule personnalité.
  • Face à la défi­ance, la trans­parence. Des pages « À Pro­pos » aux déc­la­ra­tions d’in­térêt des jour­nal­istes, en pas­sant par le partage des méth­odes de tra­vail, des rédac­tions jouent cartes sur table avec leur audi­ence. Un gage de con­fi­ance récom­pen­sé par l’attention d’un lec­torat soucieux d’une infor­ma­tion plus claire et directe.
  • Comment faire de la transparence un atout dans son modèle ? Valentin Levetti, cofondateur des chaînes YouTube et Twitch Stupid Economics répond à nos questions dans cet épisode de notre podcast Chemins.
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Médianes, le studio, accompagne les équipes d’Arrêt sur images dans leur développement marketing et organisationnel depuis 2022.

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Marine Slavitch Twitter

Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de veille.