Le média du mois : Les Autres Possibles

Chaque mois, un·e membre de l'équipe vous dresse son analyse d'un média qu'il ou elle apprécie particulièrement. À la loupe pour cette édition, le magazine local et indépendant nantais Les Autres Possibles.

Marine Slavitch
Marine Slavitch

Le média nantais Les Autres Possibles existe depuis huit ans. En huit ans, il m’est arrivé de voir passer des informations sur ce curieux magazine dépliable, sans forcément trop m’y attarder, n’étant ni nantaise, ni naturellement attirée par les cartes routières. Aussi me suis-je lancée à sa découverte lors de la sortie du dernier numéro, consacré, je vous le donne en mille, à la presse indépendante. Je me suis donc rendue sur leur site dans le but de me procurer cet exemplaire, et cet exemplaire seulement, et puis j’ai été prise de remords à l’idée de faire livrer une carte à trois euros – de soutenir un média local à hauteur de trois euros seulement, aussi. J’ai fouillé les archives du site et j’ai fini par jeter mon dévolu sur cinq éditions des Autres Possibles portant sur mes sujets de prédilection : la presse indépendante donc, la culture populaire, l’amour, les fringues, et la thune.

Quelques cartes non dépliées des Autres Possibles

Une fois l’objet — pas encore déplié — entre les mains, je glane de premières informations sur le projet dans un petit paragraphe présent au verso. « Les Autres Possibles, c’est une structure portée par six salarié·es et un bureau associatif qui œuvrent à la production d’une information indépendante et locale, au travers de ses publications et qui propose des ateliers d’éducation aux médias. » J’apprends également en bas de page que le média compte trois cofondatrices ; Marie Bertin, Jeanne La Prairie et Camille Van Haecke et que l’objet est un bimestriel imprimé en trois mille exemplaires.

Recto-verso

Concrètement, que trouve-t-on dans cette carte routière qui n’en est pas une ? D’abord, vous l’aurez compris, chaque numéro a son propre thème. Au recto, différents formats — reportages, rencontres, entretiens, décryptages, portraits — trouvent leur place dans une disposition similaire à celle des titres de presse traditionnels, avec des gros titres, des tribunes et sous-tribunes. L’information est hiérarchisée et organisée dans des rubriques (le dossier, l’édito, le courrier des lecteur·rices, les clés de lecture…), bref, visuellement, c’est plutôt classique. C’est sur le verso que le magazine se démarque. Cette partie, plus étonnante et cartographique, « permet d’explorer une autre façon de s’informer : infographies, localisation pratique, datajournalisme, témoignages sensibles, mode d’emploi… », précise l’équipe dans son manifeste

Le recto du numéro des Autres Possibles sur la culture populaire

J’aime l’idée que plusieurs journalismes peuvent cohabiter sur un même morceau de papier. Au recto, des formats classiques pour analyser un sujet et au verso, quelque chose de plus libre qui laisse cours à la créativité sur le plan graphique et donne une place à des récits plus originaux. Par exemple, le numéro consacré à l’amour autorise les lectrices et lecteurs à s’emparer du verso pour raconter leurs coups de foudre à travers différents lieux nantais.

« J’étais assis au crépuscule dans le square Louis Bureau, fumant une cigarette à méditer sur l’être et les turpitudes de la vie quand je la vis, justement, apparaître, devant ma rétine, sublime, dans sa robe de mousseline bleu marine », conte ainsi Mathieu. Près de lui, Émilie revient sur un premier baiser survenu « près d’une épicerie 24h/24 rue de Verdun », quand Didier préfère se rappeler de cette visite au Musée d’arts, où il eut un jour l’impression que les statues lui parlaient toutes d’un certain « Toi ». 

Le verso du numéro des Autres Possibles sur l'amour

Cela m’a fait penser à cette citation, dans L’Auberge espagnole. « Quand on arrive dans une ville, on voit des rues en perspective. Des suites de bâtiments vides de sens. Tout est inconnu, vierge. Voilà, plus tard on aura marché dans ces rues, on aura été au bout des perspectives, on aura connu ces bâtiments, on aura vécu des histoires avec des gens. » J’aime l’idée qu’un média local peut raconter les expériences les plus intimes des habitant·es d’une ville ; comment certain·es, peut-être, ont pu se croiser, vivre telle chose dans cette rue, telle autre chose dans ce lieu. C’est tout bête mais c’est joli, et cela raconte beaucoup de notre attachement aux lieux. En ce qui me concerne, c’est souvent une accroche intime qui me donne envie de me pencher ou non sur un sujet.

Bien sûr, la forme entre également en compte. Reconnaissons que cette carte offre une expérience de lecture particulièrement immersive et ludique. Les articles, disposés les uns à côtés des autres permettent une vue d’ensemble visuelle où les lectrices et lecteurs peuvent picorer les différents sujets et lire ce qui les intéresse en premier lieu. Ici, chacun·e choisit son propre parcours de lecture, ce qui encourage l’exploration et la curiosité par rapport à des expériences plus linéaires. J’ai également le sentiment que ce format crée une connexion entre les contenus, comment ils se complètent et se répondent. Un bon moyen d’explorer toutes les facettes du thème retenu. 

Deux-trois euros

Venons-en à présent au prix des Autres Possibles. Celui-ci s’élève à trois euros. Une carte routière, c’est beaucoup plus cher. Pour info, celle que propose le Michelin sur Nantes coûte 6,5 euros et si on se dirige vers Le Vieux Campeur, alors là on monte quasiment à dix balles. On peut également comparer ce prix à celui du 1, l’hebdo d’Éric Fottorino qui traite d’un unique sujet par numéro sur un format dépliable. Alors Le 1, en kiosques, c’est quatre euros. Voilà. J’ai tout de même fait quelques recherches pour comprendre comment Les Autres Possibles justifie son prix au numéro, qui m'a tout de suite semblé assez bas. Le 2 mai 2022, l’équipe publiait un billet de blog pour expliquer que le magazine allait augmenter d’un euro en raison de l’augmentation des prix du papier. Et effectivement, quand je regarde les exemplaires plus anciens dont j’ai fait l’acquisition, sur certains, il est écrit deux euros. 

Donc ça, c’est pour l’objet papier, star du projet. Et parce que deux ou trois euros ne suffisent pas à financer un magazine de ce type, des activités parallèles comme l’éducation aux médias et des prestations stratégiques et créatives permettent à l’équipe de joindre les deux bouts. Je pourrais vous lister tous les projets menés par l’association depuis sa création tant Les Autres Possibles fait preuve de transparence à ce sujet. Chaque année, le média publie un rapport d’activité qui fait état de ces activités et de la santé ou non du projet. Y sont également détaillées l’évolution des recettes de l’association année après année, la répartition des recettes par activité, celle du chiffre d’affaires et des charges ainsi que les différents postes de dépenses.

Extrait du rapport d'activité des Autres Possibles pour l'année 2023

L’année prochaine, une nouvelle ligne s’ajoutera à ces graphiques : elle concernera les recettes liées aux dons. « Face à des difficultés de trésorerie récurrentes liées à la crise sanitaire puis à la crise économique, l’association a fait le pari d’une campagne de dons pour s’assurer davantage de sérénité en 2024 », lit-on dans le dernier rapport. L’équipe espérait récolter 15 000 euros de dons d’ici au 31 décembre 2023 pour poursuivre son travail de façon sereine. À ce jour, 237 personnes ont donné aux Autres Possibles, pour un total de 14 400 euros. 

Un média engagé 

Sur ses différentes pages de présentation, Les Autres Possibles explique vouloir proposer « des solutions solidaires et durables de proximité » face aux enjeux de société. En 2021, le magazine a même reçu le Prix de l'innovation du journalisme de solutions remis par l'ONG Reporters d'espoirs. Ce que je trouve plutôt chouette chez ce média, c’est qu’il ne brandit pas le journalisme de solutions comme seul argument éditorial et commercial. J’aurais plutôt tendance à le qualifier de média engagé.

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Digression à propos du journalisme de solutions

J’ai tendance à légèrement me méfier des médias qui affirment faire du « journalisme de solutions » car je ne suis pas convaincue que cette ligne éditoriale puisse suffire. Pour moi, le journalisme de solutions est de fait inhérent à tout média un tant soit peu engagé sur les questions de féminisme, d’écologie et de lutte sociale. Personne ne se demande si StreetPress ou La Déferlante font du journalisme de solutions. Il semble que cette recherche s’apparente plutôt à une valeur qu’à une technique, au même titre que le journalisme gonzo qui consiste à effectuer des reportages immersifs en écrivant à la première personne. C’est aussi, me semble-t-il, un joli terme derrière lequel un média même pas du tout engagé peut se cacher alors que ces enjeux peuvent tout à fait être abordés dans chaque sujet de façon transversale. 

La raison pour cela, c’est que les beaux discours ne sont pas un vernis de façade. C’est un média cofondé par des femmes, qui pratique l’égalité salariale, revendique l’usage de l’écriture inclusive et n’efface pas les expériences des femmes dans ses colonnes. C’est un magazine imprimé « sur un papier issu de forêts durablement gérées » qui aborde les enjeux écologiques dans chaque numéro, même quand ce n’est pas le sujet principal. C’est une entreprise transparente qui rend régulièrement des comptes à ses lecteur·rices. J’ignore, finalement, s’il s’agit vraiment d’un média local. Disons qu’il s’agit d’un média qui apporte des réponses locales à de grands enjeux de société. Si je ne lirais pas Presse Océan à Paris, je m’abonnerais volontiers aux Autres Possibles, parce que sa portée va bien au-delà de la proximité.

Dans son édition consacrée à la presse indépendante, l’équipe annonce un changement. Ce numéro sera a priori le dernier à pouvoir être déplié. La raison ? Les Autres Possibles souhaite développer un modèle économique « dans lequel le média vit uniquement des ventes du magazine ». Alors à quoi s’attendre ? Je parierais bien sur une revue semestrielle, dont chaque numéro serait financé grâce à une campagne de financement participatif, un peu sur le même modèle que la revue Pays. L’avenir nous le dira, mais ce format me manquera. 

Pour aller plus loin

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Marine Slavitch Twitter

Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de stratégie.