L’Europe face aux déserts médiatiques

Le Center for Media Pluralism and Media Freedom a publié une première étude cartographiant les « déserts médiatiques », ces espaces dans lesquels l’information locale est fragile, voire absente.

Owen Huchon
Owen Huchon

Déjà étudiés outre-Atlantique, les déserts médiatiques intéressent désormais l’Union européenne. En 2022, la Commission européenne avait annoncé la constitution d’une enveloppe de 2 millions d’euros visant à cartographier les déserts médiatiques et à financer des solutions. Cette étude, diligentée par un réseau de chercheur·euses en Europe, permet aujourd’hui d’établir un premier aperçu de l’état de santé de la presse locale, et la prévalence des déserts médiatiques, qu’elle définit ainsi : « une zone géographique ou administrative, ou une communauté sociale, où il est difficile ou impossible d'accéder à des informations suffisantes, fiables et diversifiées provenant de médias locaux, régionaux et communautaires indépendants ». Pour chaque pays, l’offre en matière d’information locale est évaluée sur un nombre de facteurs de risques, dont la sécurité des journalistes ou l’indépendance éditoriale des rédactions, notée sur une échelle allant de 0% (risque faible) à 100% (risque élevé). Ces résultats sont présentés sous la forme d’une carte interactive, disponible ici. Si les données permettent de comparer les situations entre les différents États de l’Union européenne, l’étude propose également de cartographier l’offre médiatique locale au sein même d’un pays, d’un département à l’autre.

Voici les quelques points à retenir :

1 - Un phénomène en hausse

Si aucune étude de cette envergure ne s’était intéressée au phénomène jusqu’à maintenant, il n’en est pas moins nouveau; bien au contraire. L’étude mentionne par exemple « la situation des services d'information dans les zones rurales » devenue « de plus en plus problématique ». En cause : la disparition progressive des points de vente, et une transition vers le numérique qui s’effectue aux dépens des populations plus âgées résidant en zone rurale. De plus, l’appauvrissement de la distribution qui se couple d’une centralisation progressive des journalistes dans les grandes villes, couvrant les zones les plus reculées « de manière occasionnelle ou en faisant exclusivement du desk ».

La situation économique de ces médias locaux est également en train de se dégrader. Les auteur·ices de l’étude soulignent notamment « la baisse des recettes publicitaires,  l'allocation biaisée de la publicité et des subventions de l'État aux médias locaux ». Autre tendance mise en lumière par l’étude : les conditions de travail jugées « insatisfaisantes » des journalistes ainsi qu’un cyberharcèlement à leur encontre de plus en plus important.

2 - De fortes disparités

L’étude fournit des données sur l’ensemble des 27 pays de l’Union européenne, un ensemble caractérisé par une diversité de contextes sociopolitiques, de langues et de paysages médiatiques différents. Ces spécificités se manifestent dans les résultats de l’étude qui fait état d’une presse locale dont la santé varie entre bonne ou mauvaise d’une frontière à l’autre. Par exemple, si le niveau de risque relatif à la sécurité des journalistes est de 78% en République Tchèque, il n’est que de 17% en Suède. Sur l’indépendance éditoriale, l’Allemagne se voit attribuée la note de 16% alors que la situation est jugée plus critique en Pologne (87,5%).

Mais ces disparités se manifestent également au sein même des pays. Sur le sujet de l'implantation territoriale de la presse locale, tous les départements français ne sont pas logés à la même enseigne. Par exemple, si le département du Nord compte 63 médias locaux, la Loire-Atlantique 51 et le Rhône 49, l’étude ne comptabilise que 4 journaux en Alpes-de-Haute-Provence. La Meuse de son côté n’en compte qu’un seul. « Dans certains pays, les problèmes et les défis auxquels sont confrontés les médias locaux sont généralisés à l'ensemble du pays, tandis que dans d'autres, ces défis sont limités à des régions spécifiques, voire à des villes, laissant certaines communautés sans accès à des médias locaux qui diffusent des informations d'intérêt public », expliquent les auteur·ices.

3 - Des risques jugés « moyens » en France

Sur l’ensemble des critères étudiés en France, le risque est qualifié de « moyen ». En ce qui concerne la protection des journalistes par exemple, l’étude attribue à l’hexagone la note de 46%. Bien qu’elle souligne les protections conférées par le statut de journaliste, elle pointe toutefois une sécurité physique et psychologique fragile ainsi que les contrats précaires des journalistes locaux. Sur le marché de la presse locale (44%), l’étude rappelle que les revenus de la presse quotidienne régionale (PQR) ont chuté ces dernières années. Toutefois, elle constate que, malgré les défis, le nombre de médias locaux est resté « stable ces 5 dernières années ».  À propos de l’indépendance éditoriale , l’étude assigne une note de 50%, qu’elle attribue à la présence de monopoles ou à l’opacité des processus d’attribution de subventions publiques.

Le risque le plus élevé concerne l’inclusivité (54%), que l’étude explique par exemple par le manque de programmes en langues étrangères, ainsi que l’infrastructure des médias locaux, dont la note de 54% est notamment due à une hyper concentration de la presse en milieu urbain. 

4 - Solutions et bonnes pratiques

Parmi les pistes identifiées par l’étude, elle cite des formats tels que les podcasts ou les newsletters ainsi que le « slow-journalism », une pratique qui privilégie la couverture de sujets sur le long terme plutôt que la course à l’information :  « L'utilisation de formats alternatifs a pour but d'impliquer le public de manière proactive, de rétablir la confiance, d'attirer un public qui n'était pas intéressé par le contenu de l'information et d'augmenter les abonnements ». En France, l’étude souligne notamment le travail de Mediacités dont l’objectif, selon elle, « est d'établir une réelle proximité et une relation de confiance avec leur public » grâce à des formats « innovants » ou en proposant aux lecteur·ices de devenir actionnaires.

À travers ses conclusions, l’étude liste une série de recommandations auprès des pouvoirs publics, des médias et des professionel·les de la presse. Elle suggère notamment de revoir la régulation des monopoles, de renforcer la protection juridique des journalistes, de diversifier davantage les sources de revenus ou encore de financer des projets de recherche visant à cartographier les médias locaux et communautaires sur le terrain. Sur ce dernier point, les auteur·ices de l’étude précise :  « Il est important de noter qu'une question urgente à traiter concerne le manque de données relatives aux informations économiques et financières des médias locaux et communautaires, ainsi que des mesures d'audience ciblées au niveau local et une recherche plus détaillée sur la confiance, les perspectives en matière d'audience, les perceptions et l'engagement au sein des marchés de l'information locale (...) Afin d'évaluer correctement la question des déserts d'information en Europe, des efforts devraient être faits pour que ces données soient rendues publiques et accessibles ».


Pour aller plus loin : 

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Owen Huchon est journaliste chez Médianes. Il est en charge de la communauté.