Tour d'horizon : faire de la vidéo sur les réseaux sociaux

Incarnation, recrutement de jeunes personnes, adaptation des contenus existants… Voici comment plusieurs médias français et internationaux se sont mis à la vidéo sur les réseaux sociaux.

Marine Slavitch
Marine Slavitch

Créer des vidéos à destination des réseaux sociaux ne relève en rien de la bagatelle ou de la gaudriole. Non seulement il est possible d’aborder des sujets sérieux sur TikTok et Instagram, mais la réalisation des vidéos demande une grande technicité ainsi qu’une connaissance pointue des codes de ces plateformes. De plus en plus de rédactions font ainsi le pari d’ouvrir des postes et des services dédiés à la production de vidéos sur les plateformes sociales. Quelques tendances, exemples et cas pratiques issus de médias français et internationaux pour se montrer plus accessible et ainsi, retrouver la confiance des plus jeunes.

Recruter à l’image de sa cible

Selon cette étude du mensuel américain Editor & Publisher, 40% des jeunes issu·es de la Génération Z (né·es entre 1997 et 2015) cherchent les informations dont ils·elles ont besoin sur les réseaux sociaux tels que TikTok, Snapchat et Instagram. Qu’il s’agisse d’incarner ou d’assurer la production des vidéos — tournage, montage, diffusion —, pour s’adresser à des jeunes personnes, il peut être utile de recruter des profils à l’image de cette cible. Les jeunes générations ont souvent une intuition innée sur les tendances et les attentes des plateformes sociales. Leur connaissance des codes et des fonctionnalités des réseaux sociaux, liée à un fort usage, leur permet de s’adapter au format et au ton spécifique que l’on retrouvera sur chaque plateforme. 

Au-delà du recrutement, il convient également d’accorder à ces journalistes suffisamment de confiance et de latitude pour leur permettre de placer leurs compétences ainsi que leur compréhension de la culture en ligne au service de la création de contenu. En se mettant en scène et en ayant recours à des références connues de leurs pairs pour rendre digestes des sujets complexes, les plus jeunes permettent également de désacraliser leur profession en montrant un côté plus accessible, comparé aux contenus très produits que l’on peut trouver à la télévision ou sur YouTube.

Cette stratégie a l’avantage d’offrir une perspective authentique et alignée sur les attentes et usages des utilisateur·rices. Ce regard nouveau favorise une connexion plus profonde avec l’audience cible. De quoi proposer un contenu vidéo qui résonne avec les aspirations et les préoccupations des jeunesses d’aujourd’hui. 

Et concrètement ?

  • L’Équipe : un enjeu de rajeunissement de l’audience
Exemples de vidéos sur le compte TikTok de L'Équipe

Depuis l’été dernier et suite au recrutement du journaliste Paul Bonnaud, passé par la rédaction du média en ligne HugoDécrypte, le magazine sportif L’Équipe réalise sur TikTok des vidéos incarnées pour vulgariser l’actualité sportive. 

Pourquoi c’est intéressant ? Jusqu’ici, la présence de L’Équipe sur TikTok était assurée par une équipe de community managers. Suite à son recrutement, le journaliste Paul Bonnaud a proposé à la rédaction en chef d’accélérer cette stratégie en incarnant lui-même les TikTok du compte. L'embauche de jeunes journalistes à des postes clés est une des réponses que l'on peut apporter à la défiance envers les médias. En effet, la génération Z exprime une plus grande confiance à l’égard de journalistes qui lui ressemblent. Ceux·celles-ci comprennent les besoins de leur génération et sont plus enclin·es à s’adapter à leurs pratiques.

La citation :  « Il y a la volonté de rajeunir l’audience et de toucher des personnes qui ne sont pas des spécialistes du sport. C'est ça aussi que je trouve bien, c'est que je peux parler à des gens qui ne suivent pas à 100 % le sport. J’adopte cette démarche : les sujets qui éveillent ma curiosité peuvent éveiller celle des autres. Je suis très indépendant, je choisis mes sujets, j’écris, je tourne et je monte seul. » — Paul Bonnaud ; La Média’Tech.

  • La BBC : un casting pour élargir ses horizons

Afin de dénicher de nouveaux talents, la BBC a lancé l’été dernier un programme d’incubation auprès des utilisateur·rices de TikTok intéressé·es par une carrière à la télévision. Les candidat·es ont dû respecter certains critères. Un nombre d’abonné·es supérieur à 50 000 ou encore un « un impact positif créatif ou innovant sur les réseaux sociaux »  était ainsi requis pour espérer décrocher une place. Les 100 personnes sélectionnées ont bénéficié d’une formation de deux jours durant laquelle elles ont pu rencontrer des stars du groupe audiovisuel britannique et travailler sur leurs compétences à l’écran. Quatre journalistes ont par la suite été embauché·es par la BBC pour constituer une équipe dédiée à TikTok. Objectif ? « Développer le compte Tiktok de BBC News pour en faire le plus grand et le meilleur, à la fois au niveau mondial et au Royaume-Uni, est l'une des principales priorités de News pour 2023 », selon PressGazette.

Pourquoi c’est intéressant ? Jusqu’ici, la BBC restait à l’écart de TikTok, faute de ressources nécessaires pour créer des contenus de qualité, et d’envie de réaliser des « vidéos légères ». L’augmentation de la désinformation suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie a changé la donne, signifiant qu’il existait à présent « une véritable mission de service public à se rendre sur la plateforme. » Le compte Tiktok de BBC News a finalement connu la croissance la plus rapide de toutes les grandes marques d'information britanniques et américaines sur TikTok depuis son lancement et compte aujourd’hui 2,6 millions d’abonné·es. Les vidéos publiées sont soit des reprises de contenus de la chaîne, soit du contenu incarné et créé spécialement pour la plateforme, soit des directs pour couvrir des événements importants.

Incarner par les personnes concernées

Si les jeunes sont mieux placés pour parler à leurs pairs, il en va de même pour les personnes issues de communautés spécifiques. Les différences d’origine ethnique, de religion et de situation géographique donnent lieu à des attentes différentes des audiences en matière d’information. Ces différences jouent un rôle clé dans le degré de confiance accordé aux médias, celle-ci étant moins élevée parmi les personnes issues de communautés marginalisées, selon une étude de l’Institut Reuters publiée le 18 avril dernier.

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Les points clés :

• Parmi les personnes issues de communautés marginalisées, nombreuses sont celles qui considèrent les médias d'information comme biaisés, sensationnalistes ou déprimants.

• Les grands médias généralistes sont souvent considérés comme alignés pour servir celles et ceux qui sont au pouvoir.

• Une majorité de répondant·es considère que les journalistes sont déconnecté·es et qu’ils et elles n’ont ni l’expérience ni les connaissances nécessaires pour comprendre leurs réalités, voire qu'ils et elles ont des préjugés.

• Beaucoup considèrent qu'il est urgent que les médias améliorent la diversité au sein des rédactions et des directions. Plusieurs groupes se méfient néanmoins des rédactions qui communiquent régulièrement sur ces efforts.

• Pour la majeure partie des répondant·es, les sources d'information locales représentent de manière plus juste leurs communautés et leurs intérêts.

• Les jeunes indiquent plutôt se fier à des personnes, souvent non journalistes, dont le contenu est accessible via les réseaux sociaux pour mettre en lumière les sujets qui leur tiennent à cœur.

Une solution peut être de permettre aux premier·ères concerné·es d’incarner l’information. En plus de renforcer voire de rétablir la confiance avec une cible précise, cette stratégie permettra d’expliquer l’actualité de façon plus précise, sincère et détaillée, avec des points de vue originaux et invisibles ailleurs. 

Et concrètement ?

  • Histoires Crépues : expliquer l’histoire coloniale avec un regard non-occidentalocentré

Sur YouTube, le média Histoires Crépues incarnée par l’artiste Seumboy Vrainom, explique l’histoire coloniale à partir de ressources en accès libre sur le web : articles universitaires, définitions issues de dictionnaires, archives de presse ou médias non-occidentalocentrés. Sa série de vidéos « Afriques Critiques », réalisée en partenariat avec Marie-Yemta Moussanang, fondatrice du podcast documentaire Afrotopiques [accompagné par le studio Médianes, NDLR.], propose une réflexion critique sur la notion de développement, à travers la rencontre en vidéo de dix penseur·ses africains, qu’ils et elles soient économistes, militant·es politiques, chercheur·euses ou sociologues.

Pourquoi c’est intéressant ? En donnant la parole aux concerné·es, cette série permet de traiter le sujet en étant au plus près des réalités et des préoccupations du terrain, tout en donnant un espace à des voix peu entendues. Un moyen d’offrir des points de vue plus proches de l’expérience vécue des audiences africaines, et de permettre à celles-ci de se reconnaître et de se sentir représentées.

  • Booska-P : la passion avant tout

Las de ne voir le rap traité que sous le prisme des violences, les passionné·es de rap se sont créé·es leurs propres espaces. D’abord sans ambition économique, les médias rap (Grünt, Raplume, Booska-P, Yard…) sont devenus des incontournables de la culture populaire. Parmi eux, le géant Booska-P fait partie du top trois des médias les plus suivis sur Instagram et a même interviewé Emmanuel Macron au moment de l’élection présidentielle de 2022.

Pourquoi c’est intéressant ? Parce que Booska-P doit son succès à la culture de la proximité que ses journalistes entretiennent à la fois avec les artistes et avec l’audience. Ceux·celles-ci n’ont pour la plupart pas suivi le cursus classique des grandes écoles et ont été recrutées sur le critère de la passion. De quoi sortir de l’endogamie sociale des rédactions traditionnelles et nouer, de ce fait, un lien de confiance avec leur jeune audience. Autant d’enjeux que nous avons également abordé lors de la deuxième édition du Festival Imprimé pour un journalisme engagé, aux côtés de Lise Lacombe (cofondatrice du magazine rap Mosaïque), Mekolo Biligui (journaliste indépendante et chroniqueuse pour l’émission rap La Récré) et Emmanuelle Carinos Vasquez (doctorante en sciences sociales, spécialiste du rap français et journaliste pour L’Abcdr du son).

Adapter des contenus existants

Il peut être intéressant d'adapter des contenus déjà publiés ou diffusés par votre média pour les partager sur les réseaux sociaux. Si cette stratégie s’adapte bien à des émissions télévisées, elle peut également s’appliquer aux formats écrits, d’autant plus lorsque ceux-ci contiennent déjà des illustrations, comme des cartes ou des data-visualisations. Cette approche représente souvent peu de contraintes en termes de production, mais peut avoir le même impact qu’une vidéo très produite et incarnée en termes d'engagement et de portée.

C’est également un très bon moyen de capter l'attention des utilisateur·rices qui n’ont pas l’habitude de consulter les supports d’information traditionnels. Concrètement, dans le cas d’émissions existantes, il est possible d’extraire des moments forts et de les intégrer dans un montage dynamique. De manière générale, il peut être utile d’ajouter des sous-titres pour les vidéos, de bien les légender pour faciliter leur référencement et de proposer, dans l’espace commentaires par exemple, le lien vers le contenu original. Un moyen efficace de diriger potentiellement de nouveaux publics vers un média, tout en permettant une interaction plus directe avec l’audience. 

Et concrètement ?

  • L’INA : des archives pour éclairer l’actualité
Un extrait du compte Instagram de l'INA

Avec près de 425 000 abonné·es sur la plateforme et des vidéos qui atteignent pour certaines les 4 millions de vues, l’INA « s’est transformé en média cool, qui séduit les moins de 30 ans, grâce à ses archives étonnantes et drôles », raconte Le Monde

Pourquoi c’est intéressant ? La stratégie de l’Institut consiste à jouer avec l’esthétique nostalgique des archives télé dont raffolent les réseaux sociaux en publiant des vidéos qui résonnent avec l’actualité : une façon de maximiser leur visibilité et leur taux d’engagement. Signe de reconnaissance, leurs formats sont largement repris et détournés. Sur Instagram, le compte humoristique et parodique Miskin Télé (9 000 abonné·es) propose régulièrement dans ses stories des jeux consistant à deviner les métiers des personnes interviewées à partir des archives publiées par l’INA sur TikTok.

La citation : « Notre fonctionnement dev[ient] alors celui d’un média classique, avec une conférence de rédaction tous les jours afin de déterminer comment les archives peuvent éclairer les actualités du jour : trouver des lignes de rupture, de continuité, rappeler qu’un événement en train de se produire n’est peut-être pas si inédit. [...] nous appliquons une règle interne au moment de produire un contenu, un petit gimmick appelé les 3 E : étonnant, éclairant, émouvant. Nos contenus doivent répondre à au moins l’un de ces trois E. » — Antoine Bayet, Directeur éditorial de l’INA ; La Réclame.

  • L’Informé : rendre sexy de longues enquêtes économiques

Dès son lancement, le média d’investigation économique L’Informé, pourtant récent et potentiellement inconnu du grand public cumulait plus de deux millions de vues pour seulement quatre vidéos publiées sur TikTok. Le média compte aujourd’hui 21 500 abonné·es sur la plateforme, et publie en moyenne une vidéo par semaine, presque systématiquement incarnée par la journaliste vidéo Emeline Mauro.

Pourquoi c’est intéressant ? Le site publie de longues enquêtes écrites sur des sujets complexes. Personne ne l’attendait donc forcément sur TikTok. Son objectif est d’aider le public à mieux comprendre les révélations de la rédaction, en les résumant et en les illustrant. Sans être légers, les sujets sont ciblés en fonction de ce qui marche sur la plateforme : des révélations sur des candidat·es de téléréalité, des YouTubeur·ses, des animateur·rices ou des personnalités bien connu·es du grand public. Une recette gagnante pour valoriser des contenus existants tout en les rendant accessibles.

Multiplier les comptes

Cette stratégie peut être intéressante pour les médias qui cherchent à proposer un contenu adapté pour chaque cible plutôt que de regrouper sur un seul et même compte des vidéos proposant des formats et thématiques différents (résumés d’enquêtes, reportages, recettes, jeux). Cette segmentation permet de toucher des audiences spécifiques et de créer des communautés engagées autour de sujets précis. De plus, elle offre aux utilisateur·rices une expérience personnalisée en fonction de leurs préférences, renforçant ainsi la fidélité et l'engagement.

Il peut ainsi être judicieux d’identifier les rubriques, les thématiques ou les journalistes les plus populaires afin de leur créer des comptes dédiés sur les plateformes proposant de la vidéo. Multiplier les comptes permet également à chacun de disposer de sa propre ligne éditoriale, de son propre montage, de sa propre façon de s’adresser à la communauté, sans contrainte d’uniformisation visuelle et narrative générale.

Et concrètement ?

  • Le New York Times : un compte par rubrique
Extrait du compte TikTok @nytcooking du New York Times

Totalement absent de TikTok il y a à peine un an, le New York Times a décidé d’employer une stratégie ambitieuse et propose désormais une large panoplie de comptes sur la plateforme. Son compte principal, @nytimes, totalise 590 000 abonné·es, auxquel·les s’ajoutent les 360 000 abonné·es du compte lié à sa rubrique « NYT Cooking », les 91 500 abonnés du compte lié à sa rubrique « Wirecutter » et les 25 000 abonné·es du compte dédié à sa rubrique « Opinion  » . Plus récemment, le New York Times a également tenu à mettre en lumière ses abonné·es en leur consacrant un nouveau compte : @mynytimes. Le journal y raconte ses coulisses et y met en avant les retours et commentaires de ses lecteurs et lectrices, comme leurs bonnes résolutions pour l’année à venir ou leurs avis sur les recettes publiées. Des comptes ont également été créés pour leurs podcasts, dont « Hard Fork », leur émission dédiée aux nouvelles technologies.

Pourquoi c’est intéressant ? Tous ces comptes TikTok permettent de travailler à la construction de différentes communautés liées à des rubriques, des formats ou des produits et de prendre en compte les différents publics d’un média généraliste. S’adresser à un public large ne dispense en effet pas de disposer d’une stratégie pour prendre en compte chacune de ses cibles dans sa stratégie. C’est également un bon moyen d’attirer des audiences plus jeunes et de rendre le journal plus accessible et moins froid grâce à l’incarnation des contenus.

  • France Télévisions : un compte par animateur·rice

La journaliste de France Télévisions Élise Lucet incarne depuis novembre dernier un compte TikTok qui lui est entièrement dédié sur lequel elle répond aux questions du public et raconte les coulisses de ses enquêtes. En plus d’évoquer des notions importantes comme la protection des sources ou les procès-bâillons, la présentatrice dévoile quelques anecdotes sur son travail. Sur la plateforme, ses vidéos incarnées comptabilisent plusieurs centaines de milliers de vues et le compte totalise aujourd’hui 38 400 abonné·es. Constatant ce succès, plusieurs animateur·rices de France Télévisions disposent aujourd’hui de leur propre compte sur la plateforme : c’est le cas de Caroline Roux, animatrice de l’émission C dans l’air, ou encore de Laurent Delahousse, présentateur des éditions de fin de semaine du 20 heures de France 2.

Pourquoi c’est intéressant ? Ces comptes TikTok s’inscrivent en complémentarité des émissions de France Télévisions. Dans la foulée de la diffusion d’une émission sur l’usurpation d’identité, Élise Lucet proposait par exemple 3 conseils pour éviter d’en être victime. Les compte ne se contente pas de publier des extraits d’émission : tous sont adaptés aux attentes spécifiques des utilisateur·rices de TikTok, à la recherche d’une certaine authenticité et d’un dialogue avec les personnalités présentes sur la plateforme. Le groupe en profite pour y cultiver un sentiment de confiance et de proximité avec ses figures stars, notamment avec des éléments de coulisses.

S’amuser et laisser place à la créativité

Finalement, c’est peut-être ce qui compte le plus. TikTok et Instagram offrent un espace de liberté unique pour aborder les sujets de manière décalée et inventive. Cette approche permet non seulement de capter l’attention de l'audience, mais aussi de rendre des sujets complexes plus accessibles et mémorables. Par exemple, utiliser des accessoires du quotidien pour illustrer des concepts permet aux gens de s'identifier facilement et d'avoir une accroche émotionnelle directe au sujet abordé. Par leur côté concret et interactif, ces méthodes ludiques favorisent également une meilleure compréhension des informations délivrées par les journalistes.

Et concrètement ?

  • Alternatives Économiques : des Playmobils pour expliquer l’actualité
Extrait du compte TikTok d'Alternatives Économiques

Constatant une décroissance de son public de lycéen·nes, Alternatives Économiques a fait le choix, il y a deux ans, de recruter le journaliste Rudy Pupin, pour animer son compte TikTok. Le projet a tout de suite été intégré au service marketing du média, dans le cadre de sa stratégie de gain de notoriété d’image de marque. Le magazine spécialisé sur les questions économiques et sociales compte aujourd’hui près de 120 000 abonné·es sur la plateforme et les vidéos dépassent régulièrement les centaines de milliers de vues. 

Pourquoi c’est intéressant ? La recette du succès réside notamment dans l’inventivité quant à la façon d’illustrer le propos : Rudy Pupin utilise régulièrement des Playmobils, de la pâte à modeler, du faux sable ou du riz pour expliquer ses sujets. Autant d’objets du quotidien et de bricolages qui permettent à l’audience de s’approprier les sujets et de s’informer sans même s’en rendre compte. D’autant que même les sujets les plus complexes, comme les droits de succession ou le droit du sol à Mayotte, rencontrent de belles audiences. De quoi déconstruire les clichés qui laisseraient entendre que TikTok ne serait une plateforme appropriée que pour aborder des sujets légers.

La citation : « Je passe un temps fou à choisir les bons accessoires et à faire des découpages pour être sûr à la fois de parler à tout le monde et de respecter la rigueur journalistique. » Rudy Pupin ; La Revue des médias.

  • Le Parisien : utiliser des ressorts comiques

En 2021, le quotidien Le Parisien a fait appel à Mathieu Hennequin, journaliste alors âgé de vingt-cinq ans, pour imaginer et incarner des contenus vidéos à destination de la plateforme TikTok. Le compte cumule aujourd’hui près d’un million d’abonné·es. Reportages insolites, micro-trottoirs, formats d’explication de l’actualité avec une voix-off… Comme un site d’informations qui publierait des brèves d’actualité chaude et des articles longs, le média adapte les formats à chaque sujet, sans jamais oublier la « patte TikTok » et ses références à la pop culture et aux tendances du moment.

Pourquoi c’est intéressant ? Dès son lancement, le compte s’est distingué par sa capacité à accrocher l’audience en utilisant des ressorts comiques comme des blagues, de l’auto-dérision, des références à des tendances issues d’Internet. Tout le travail d’équilibriste consiste à trouver le juste dosage pour ne pas causer de lassitude chez les spectateur·rices.

La citation : « Au début, mes chefs me trouvaient trop frileux. Ils me disaient “lâche-toi, il faut que ce soit marrant” », confie le vidéaste de 25 ans. Encouragé par les retours positifs sous ses vidéos, le jeune homme vient même de se lancer dans le stand up. « Ce sont deux casquettes différentes, tempère-t-il. Au Parisien, je me demande toujours à quel point telle vanne sert le compte et s’inscrit dans l’intérêt du journal. Si j’incarne, ce n’est pas par égo. »  — Mathieu Hennequin ; La Revue des médias.

Mettre à contribution différents services

Avant de se lancer à corps perdu dans la vidéo, il peut être utile de prendre le temps de bien s’organiser en interne et de recueillir les intuitions des personnes avec qui vous travaillez et qui construisent votre média au quotidien. Certains services ou certain·es journalistes spécialisé·es de votre média pourraient faire émerger des idées auxquelles vous n’auriez pas pensé au premier abord, qu’il s’agisse d’outils, d’enjeux marketing ou de formats.

Et concrètement ?

  • Le Monde : miser sur les techniques d’information en sources ouvertes

Jusqu’ici apanage de l’écrit, l’enquête s’incarne de plus en plus par le biais de formats vidéo. Le quotidien Le Monde vient justement de renforcer sa cellule d’enquêtes vidéo en sources ouvertes (OSINT) en s’équipant de nouveaux outils d’analyse d’image pour mieux couvrir l’international, Ukraine en tête.

Pourquoi c’est intéressant ? Parce qu’en plus de favoriser l’incarnation des sujets par les journalistes et donc de renforcer le lien de confiance avec les audiences, les outils permis par la  vidéo — représentation d’ordres de grandeur, reconstitutions, tracking — permettent une plus grande transparence dans le processus d’enquête, et donc un meilleur engagement des publics.

La citation : « L’invasion russe de l’Ukraine a remis en lumière une évidence : si Internet regorge de fausses informations, de tentatives de manipulation et de mensonges, c’est aussi une mine extraordinaire de documents originaux, de données publiques vérifiables et de témoignages irremplaçables, postés au plus près de la réalité. En somme, un terrain d’investigation infini pour faire émerger des informations nouvelles. » — Le Monde.

  • Les Échos : mettre à profit les compétences des différentes équipes

Si le quotidien économique n’a pas de difficulté à fidéliser ses abonné·es, avec un taux de réabonnement proche de 100% sur la partie BtoB, Les Échos peinent à toucher les jeunes : la moyenne d’âge de son audience est aujourd’hui de 50 ans. L’enjeu est d’autant plus important qu’il s’agit du futur du quotidien en matière de lectorat et d’abonnement. Fort de ce constat, le quotidien a réalisé plusieurs études d’audience et de marché afin de définir  le profil de leur cible ainsi que ses habitudes de consommation de l’information. Une fois les données recueillies, l’équipe est passée en mode projet en montant plusieurs groupes de travail multidisciplinaires : rédaction, audience, produit, diffusion, données…

Pourquoi c’est intéressant ? Pour développer un nouveau projet numérique, la clé du succès réside dans la mobilisation d’un ensemble de compétences. Face à la nécessité de toucher une nouvelle audience, l’équipe des Échos a suivi une méthodologie de gestion de projet cadrée qui leur a permis de se mettre en état de marche de façon efficace en tirant profit de tous les métiers présents au sein de leur rédaction. Les Échos produisent aujourd’hui des formats vidéos d’actualité incarnés et accessibles d’une dizaine de minutes diffusés sur leur chaîne YouTube. En trois mois, les quatre premières vidéos ont rassemblé 750 000 vues, avec un taux de complétion [Un indicateur qui permet d’identifier rapidement les contenus qui rencontrent un succès. Plus ce taux est élevé plus les utilisateur·rices sont engagé·es, et auront tendance à revenir et consommer davantage de contenus, NDLR.] de 50% sur YouTube et un âge moyen entre 25 et 35 ans. Ces vidéos sont également diffusées sur les réseaux sociaux dans un format bande-annonce de quelques secondes. L’audience est particulièrement réceptive sur LinkedIn, où se trouve déjà une communauté très engagée de jeunes actif·ves trentenaires.

Pour aller plus loin 

  • Sur TikTok, Kelsey Russell partage sa passion : lire l'édition imprimée du New York Times. À travers ses vidéos, elle entend réconcilier la jeune génération avec la presse papier. Une initiative qui ne passe pas inaperçue, notamment auprès des médias.
  • Vous aussi, vous aimez regarder les avis des internautes avant de vous décider à acheter un produit ? Il se peut que votre audience ait le même réflexe avec votre espace commentaire avant de lire un article ou de lancer une vidéo. D’où l’intérêt d’en faire un lieu vivant, accessible et accueillant.
  • Les médias sont des pro­jets entre­pre­neuri­aux qui ont par­fois du mal à com­mu­ni­quer sur eux-mêmes. Pour­tant, c’est un sujet d’in­térêt général et un levi­er mar­ket­ing impor­tant. Booska‑P, Les Jours ou encore Gim­let dévoilent leurs couliss­es, et cette for­mule fonctionne.
  • La démocratisation de l’intelligence artificielle, à travers l’usage d’outils comme Chat GPT, a poussé la presse à réagir. Comment s’approprier cette nouvelle panoplie d’outils, sans nuire à la qualité de l’information ? Formats, approches, débats, outils : tour d’horizon des usages.
  • Violences, désinformations… la nature même de la guerre appelle les médias à un traitement différencié, que ce soit pour mieux servir leurs publics, ou pour s’assurer de la santé de leurs équipes. Format, approche, ton, conditions de travail, outils : tour d’horizon de bonnes pratiques.
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Marine Slavitch Twitter

Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de veille.